Swans, le concert immanquable du mois de mars

Il est mardi soir et la ville d'Yverdon-les-bains fait honneur à son nom d'origine en provençal, qui désigne l'hiver. Le froid pénètre jusqu'aux os, sans donner aucun indice d'un printemps esquif, bien qu'on soit à la fin mars. Comme vous le savez, L'Amalgame se situe derrière la gare dans un vieux quartier industriel, en face duquel s'érige l'hôpital psychiatrique du nord-est vaudois. Le déplacement vaut bien la peine, car aujourd'hui il y a les Swans.

À l'entrée, il est drôle de retrouver plusieurs têtes familières du public rock lausannois, qui attendent dehors, une bière dans une main, une cigarette dans l'autre, vite fumée car il gèle. Une fois dedans, à côté de la caisse, un panneau avertit: "ce soir ça va chier". Sur la table, une quantité généreuse de boules-caisses. Un passage rapide au bar pour prendre une Guiness, et Xiu Xiu commence déjà.

En solo, avec une guitare au son propre, réverbèré et cristallin, le chanteur expose une voix de crooner entre Elvis et Johnny Cash. Le tout accompagné de boucles de chants d'oiseaux en background. Ceci suffit pour faire fuir ce spectateur et ses amis, plutôt virés aux sons plus crus. Une fois dehors, commence la préparation au rite qu'est un concert de Swans. Avec impatience, la conversation tourne autour des expectatives sur le show.

Les fans de Swans savent pourquoi ils sont là, pourquoi ils ont bravé la distance et le froid en pleine semaine. Aucun n'est venu par mode, ni voir le dernier groupe hype. Actif depuis le début des années 80, jusqu'à la fin de 90, pour renaître à nouveau il y a 4 ans, le groupe dirigé par Michael Gira est un objet de culte. Sa musique, à la fois bruit, beauté, rythme tribal et brutalité subtile, est un mélange explosif qu'on aime ou qu'on déteste.

Le caractère hypnotique et subliminal de Swans est spécialement propice aux états altérés de la conscience, donc, une bonne préparation au concert implique, pour une partie du public, la fumette en dehors du club, histoire de rentrer dans la trance.

Une fois de retour à l'intérieur, les yeux rouges et ébahis, nous nous approchons de la scène pour aller au premier rang, avec une sensation de profiter d'un luxe: il y a environ 200 personnes dans la salle pour voir une groupe qui est une légende en soi. Les musiciens montent sur scène et l'atmosphère se tend. Michael Gira scrute le public de son regard et sa seule présence intimide et inspire du respect en même temps. Christoph Hahn envoie des couches de feedback depuis son lap steel et la cérémonie commence, suivi par Gira qui chante l'inédit "To be Kind" d'un air solennel, au temps qu'il joue des accords épars avec sa guitare.

Au premier rang, nous nous regardons comme si nous étions dans une tranchée, prêts à subir l'impact de l'attaque sonore. Celle-ci arrive au bout de 10 minutes, lorsque le morceau explose. C'est là qu'on apprécie la machine puissante, à l'engrenage parfaitement engraissé qu'est Swans. À deux batteries, deux guitares, basse et lap-steel, les américains déploient une artillerie sonique et rythmique de proportions. Le tout dirigé par Gira grâce à ses gestes ou regards. Sans boules quies, le son est puissant et profondément physique. Ça fait mal, mais c'est extrême et plaisant en même temps.

Quelques secondes de pause et les Swans enchaînent avec ''Mother of the World". Celui-ci est un extrait du magnifique et énorme (triple vinyle) THE SEER publié par les cygnes soniques l'année dernière, un album qui a pris 30 ans à être mis au point, selon Michael Gira, soit l'aboutissement d'une carrière musicale. Le public bouge comme possédé par la trance de cette rythmique obsédante et hypnotique. Le rite atteint la catharsis. La conscience s'altère, se libère, se dissout dans l'expérience collective de 'vivre' cette musique aliénante.

Il est difficile de prendre du recul à ces moments-là, mais mon devoir l'exige. Je cherche une réponse à comment est-ce que ces morceaux peuvent être aussi prenants, avec une telle intensité. Je la trouve finalement dans la puissance du son et du rythme, et dans la répétition obstinée des mélodies circulaires, tous des éléments présents dans les cultures pré-chrétiennes et pré-occidentales: dans le rite païen. Voici la solution à l'énigme. The Swans sont aussi uniques parce qu'ils osent aller au-delà (quelque chose qu'on bien compris leurs admirateurs comme Sonic Youth ou Sebadoh).

Le groupe de Michael Gira arrive à pénétrer la conscience pour arriver à ce qu'il y a derrière celle-ci: tous les filtres sont vaincus par l'intensité sonore et le rythme. Les litanies guturales et répétitives de Gira, la puissance des deux batteurs visent précisément le rite païen. L'extrait "Screen-shot", collé à "Mother of the World", confirme ceci. C'est pour cette raison que les Swans sont comme une sorte de culte, suivi par une sorte de secte. C'est pour cela, aussi, que soit on les adore ou soit on peut les trouver monstrueux et horribles. En apparence désordonnée et chaotique, leur musique est issue du calcul et de la métrique pure, sinon, jamais elle ne serait aussi efficace. Celle-ci est la seule façon d'arriver à la zone où se situent les trauma et de les libérer, une façon d'éveiller ce qui dort et reste latent à l'intérieur de chacun, constamment réprimé par la conscience. "Coward" est la chanson suivante, avec un tempo lent et démolissant, oppressif jusqu'à l'asphyxie, et puis encore "She loves us", un très bel instrumental qui arrive comme une bouffée d'oxygène libératrice. 

Le concert clôt avec "Nathalie", "The Seer" et "Oxygen", du même trait et mixés. En total, il y aura eu 7 longs mouvements, d'entre 15 et 25 minutes chacun. Le set est beaucoup plus restreint que lors de leur passage à Lausanne il y a juste quelques mois, et y gagne en effectivité. Le son est exponentiellement meilleur qu'aux Docks, aussi. À la sortie, la sensation qui reigne est celle d'une joie profonde et les fidèles rentrent chez eux, satisfaits.

La cérémonie vient de finir mais Michael Gira est déjà sur la table de merchandising pour signer des dédicaces. De bonnes nouvelles surgissent d'entre les couloirs du club, un des batteurs annonce leur retour en mai en Suisse, cette fois à Genève. The Swans sonnent mieux que jamais, avec une formation solide et intégrée, et leur meilleur album en date sous la poche.

 

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