Formé au début des années 80 en pleine descente de ce qu’on appelait à l’époque la No Wave, Sonic Youth a sorti deux albums de bruit quasiment pur avant de commencer à intégrer ses larsens et digressions soniques dans le cadre de vraies chansons à partir de l’album EVOL (1986) et de culminer

Sonic Youth

Formé au début des années 80 en pleine descente de ce qu’on appelait à l’époque la No Wave, Sonic Youth a sorti deux albums de bruit quasiment pur avant de commencer à intégrer ses larsens et digressions soniques dans le cadre de vraies chansons à partir de l’album EVOL (1986) et de culminer presque dans la foulée avec la (vraisemblablement) indépassable trilogie DAYDREAM NATION (1988) / GOO (1990) / DIRTY (1992), trilogie aussi exigeante que jouissive, aussi bruitiste que mélodique. Le double DAYDREAM NATION est considéré aujourd’hui comme l’un des sommets absolus du rock indé américain des années 80 (aux côtés par exemple de, au hasard et en vrac, ZEN ARCADE de Hüsker Dü, TIM des Replacements, DOOLITTLE des Pixies ou NOTHING’S SHOCKING de Jane’s Addiction). GOO et DIRTY c’est une autre histoire. En 1990, beaucoup de fans se sont étranglés d’effroi en apprenant que le groupe quittait le milieu indé pour signer dans une grande maison de disques, en l’occurrence Geffen, et se sont étranglés encore davantage en entendant les deux disques en question dont le son s’était considérablement musclé pour mieux coller à la musique de l’époque. Pour toutes ces raisons, aujourd’hui encore, de nombreux fans de Sonic Youth renient ces deux albums qu’ils trouvent trop commerciaux. Le point de vue se défend, mais oublie quand même un fait important ; GOO et DIRTY contiennent (à égalité avec DAYDREAM NATION quand même) les deux meilleures collections de compositions de l’histoire du groupe…

En 1994 en tout cas, le groupe est revenu à sa sonorité habituelle avec l’album EXPERIMENTAL JET SET, TRASH AND NO STAR. Après, me concernant, je dois avouer humblement qu’après avoir beaucoup écouté GOO et DIRTY dans ma vie, j’ai totalement décroché de l’actualité de Sonic Youth dans la seconde partie années 90 et que le dernier de leurs albums que j’ai écouté devait être WASHING MACHINE en 95. C’est donc avec une oreille d’autant plus curieuse que je me suis penché sur le petit nouveau, intitulé THE ETERNAL.

Deux accords dissonants qui résonnent en boucle, une rythmique frénétique qui débarque , suivie d’une deuxième guitare saturée et de la voix mi-chantée mi-hurlée de Kim Gordon, “Sacred Trickster”, la chanson placée en ouverture du disque m’inspire immédiatement deux réflexions : 1 ce morceau me rappelle exactement, quasiment au larsen près, le Sonic Youth que j’écoutais il y a 15 ans ; 2 qu’est-ce que c’est bon ! Après ce début en fanfare, c’est un peu plus compliqué. Comme toujours avec Sonic Youth, la première écoute laisse une grande impression d’uniformité, de masse compacte solide et consistante. Il faut plusieurs écoutes pour entendre chaque chanson se détacher des autres et prendre sa forme personnelle.

A partir de là, on se rend compte que l’album possède tous les types de chansons que l’on a l’habitude d’entendre chez Sonic Youth : celles qui mettent en scène la voix énervée de Kim Gordon (“Calming the Snakes”), celles qui sont menées par la voix fainéante de Thurston Moore (“Antenna”), celles où les deux chantent ensemble (“Leaky Lifeboat”), celles qui partent calmement, s’énervent à mi-parcours, partent dans une folie bruitiste, puis redeviennent calmes (“Anti-Orgasm”). Le groupe a même pensé à son traditionnel morceau chanté par son guitariste (l’excellent “Walkin Blue”) et à son habituelle contribution à la pop, du moins à sa vision personnelle de la pop (la très mélodique “Poison Arrow”).

Franchement, faire une chronique titre à titre de ce genre de disque est quasi-impossible tant les douze morceaux de THE ETERNAL forment un tout indissociable. Les Sonic Youth sont des maîtres en matière de dynamiques : l’album flambe, se calme, repart, retombe, explose de nouveau, etc. Chaque morceau est conçu en fonction du précédent et du suivant pour former une cohérence. Evidemment, dans tout cela, ceux qui connaissent bien Sonic Youth ne risqueront pas d’avoir de surprise. Dans ce disque, Sonic Youth fait du Sonic Youth, point barre. Maintenant, quel fan reproche aux Rolling Stones de faire du Rolling Stones, à U2 de faire du U2, à Depeche Mode de faire du Depeche Mode ou à REM de faire du REM, je vous le demande un peu ? En plus de 25 ans, le groupe a eu 1000 fois l’occasion de parfaire son style et on ne voit pas bien pourquoi il en changerait aujourd’hui. Sonic Youth possède une identité qui lui est propre, et à l’heure où de plus en plus de groupes sont des clones les uns des autres, on peut dire que c’est très bien comme ça.

Ce qui est le plus impressionnant finalement, c’est la constance de Sonic Youth dans la qualité. A plus de 50 ans, les membres du groupe auraient pu depuis longtemps se relâcher, se ramollir, sortir des disques qui seraient juste un album de plus dans leur discographie. Mais non. Le groupe est toujours aussi exigeant avec lui-même, le groupe est toujours aussi extrême dans sa musique, le groupe ne fait toujours pas la moindre concession à quoi que ce soit. Sa musique est toujours aussi dense, épaisse, intense.

Maintenant, si l’on veut émettre un bémol, c’est certainement que, pour le fan inconditionnel de GOO et DIRTY que je suis, il n’y a assurément pas ici de single aussi imparable que “Kool Thing” ou “100%”, pas de tuerie aussi surpuissante que “Chapel Hill” ou “Sugar Kane”. THE ETERNAL n’est pas un grand Sonic Youth, juste un très bon Sonic Youth. Je suis donc plus ou moins obligé d’utiliser la même conclusion que lors de mes chroniques des derniers Morrissey, Archive ou Jarvis Cocker : les fans seront ravis, les autres continueront à ignorer le groupe. Ah et puis si : vous pourrez toujours utiliser ce disque pour rabattre le caquet de votre petit cousin fan des Kooks et de Bloc Party : « Prends ça dans ta face : c’est ça le rock mother fucker » !

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