Spectrum en interview

Lorsque Pete Kember et Jason Pierce abandonnèrent Spacemen 3 après leur tournée de 1989, ils en finirent aussi avec un des groupes psychédéliques les plus transcendants des 30 dernières années. Le premier, Sonic Boom, s’en alla avec sa guitare et ses claviers analogiques et fonda Spectrum pour développer ses chansons, ainsi que E.A.R. pour ses morceaux abstraits. L’autre, Jason Spaceman, fila déployer ses idées liées au gospel et à la soul avec Spiritualized.

N’aura-t’on jamais assez entendu les mentions récurrentes à la trinité de l’Angleterre des années 80? Quoi qu’il en soit, Jesus and Mary Chain, My Bloody Valentine et Spacemen 3 auront quand même fait quelque chose qui a radicalisé les options esthétiques d’une façon contestataire à travers l’utilisation du bruit, de la transe et de la répétition. Une sorte d’effet miroir (avec des ponts tissés, bien sûr) avec ce qui arrivait dans la East Coast à New York avec la No Wave de Sonic Youth et The Swans. Une musique qui s’entend comme une réaction politique, en quelque sorte, face au désert d’ennui et à la violence conservatrice des administrations Thatcher et Reagan. Ça n’a peut-être pas la forme d’une protest-song hippie, car la révolution est la musique en elle-même plus que ce qu’elle en est l’appel (quoi qu’il en soit différemment avec "Teenage Riot" et "Revolution"). Ce «bruit» en soi est révolutionnaire – ce volume stratosphérique, cette transe produite par la répétition obsédante, cette violence sonore et libératrice: des sons qui altèrent la conscience.

Pour Sonic Boom, la magie de la transe se trouve dans le son (modelé grâce à des boites d’effets et des synthétiseurs modulaires analogiques). Ses morceaux préférés émanent de drones, ou d’accords et de notes qui restent les mêmes pour se perdre et devenir seulement du son. De façon extrême, il estime que la chanson parfaite est construite autour d’un seul accord: la simplicité est difficile. Son projet E.A.R. est construit seulement autour d’interventions sonores, de manipulations et de samples, un produit de laboratoire qui quitte rarement la maison en vue de l’équipement à transporter. C’est avec son groupe Spectrum, alors, que Pete Kember passe au Bourg de Lausanne, quelques jours après avoir joué au Psych Fest à Austin, Texas. C’est l’occasion parfaite pour discuter avec lui et de voir sur scène des perles, telles que "Revolution" et "How you Satisfy me". De même que l’avait fait Jason Pierce aux Docks il y a quelques mois, Sonic Boom reprend aussi des morceaux des Spacemen 3 en concert (ceux qu’il a composé).

THE PERFECT PRESCRIPTION (1987) ou TAKING DRUGS TO MAKE MUSIC TO TAKE DRUGS TO (1990) sont des titres qui témoignent l’attrait de ceux-ci pour les drogues et leur donnèrent une réputation liée à la drug culture. L’album tribut qui leur fut dédié avec des reprises de Mogwai, Arab Strap et Bardo Pond met l’accent sur l’influence que les anglais ont eu sur les générations suivantes. Sonic Boom a été invité pour jouer avec My Bloody Valentine, Stereolab, Yo La Tengo et Jessamine, et requis comme producteur par des musiciens actuels liés au psychédélisme, comme MGMT, avec qui il a fait CONGRATULATIONS (2010), ou encore Sun Arraw et l’Animal Collective Panda Bear.

Lords of rock: Tu utilises beaucoup d’effets sur la guitare ainsi que des synthétiseurs modulaires…Quel est ton intérêt pour modeler le son?
Sonic Boom: J’utilise un tas d’effets sur différentes choses. Un truc que j’aime vraiment c’est traiter le son, en utilisant divers effets. Ceci crée une certaine magie. Il y a ce morceau des Spacemen 3, ‘Ecstasy Symphony’, qui est juste une paire de drones mis dans un clavier Farfisa, et ensuite enregistrés 6 fois, je crois: la première fois, avec un delay stéréo, la deuxième, avec de la reverb, ensuite avec du trémolo, et puis encore avec un phaser très lent et enfin avec un effet symphonique. Voilà ce qu’est cette chanson. La façon dont tous les sons interagissent et se touchent entre eux crée ceci, ça prend de la vie par soi-même.  Ce n’est pas facile de réussir quelque chose comme ça et ça arrive souvent par la chance la plus idiote. Tu peux essayer de prendre cette direction et de t’engager dans cette voie mais parfois c’est juste de la chance quand tu arrives à quelque chose qui marche vraiment. Chaque pédale d’effet a sa propre magie spécifique. C’est pour cela que tu peux trouver des gens prêts à payer 500 euros sur le web pour en acheter une, parce que ça fait quelque chose de spécial.

Tu as fondé les Spacemen 3 lorsque tu étais à l’école d’art…Est-ce que l’art fut ton premier intérêt avant la musique?
Je m’intéressais aux deux de la même façon, probablement. C’est plus facile de faire des beaux arts que de rentrer dans une école de musique. Si tu veux devenir musicien en étudiant, tu dois déjà avoir beaucoup d’habilités. Moi j’avais déjà fait quelques études en art, alors j’étais plus familiarisé avec ce champ de travail. Voilà pourquoi ceci me fut plus facile. Il y a aussi ce cliché en Angleterre: quand tu veux former un groupe de rock, il faut aller à l’école des beaux arts. Depuis Roxy Music à The Clash en passant par Queen. Tu sais? Tu les nommes et tu trouveras tout de suite qu’au moins deux d’entre eux se sont connus dans une école d’art. C’est très courant dans les groupes anglais. Je crois que c’est à cause du système d’études là-bas: étudier les beaux arts te permet de rester dans ce système mais tout en y étant en dehors en même temps, c’est à mi-chemin.

C’est alors que tu a rencontré Jason Pierce…Comment as-tu vécu les années Spacemen 3?
Très bien! Nous avons eu beaucoup de chance, Jason et moi. Nous avons commencé à travailler ensemble et nous avons trouvé quelque chose qui a marché, et ceci assez rapidement, quelque chose de franchement original, surtout pour l’époque. Ce son est venu à nous et nous étions comme: «Wow! Ceci peut marcher!» Mais, à nouveau, c’est juste la plus bête des chances. Ensuite, les membres qui s’intégrèrent au groupe étaient des amis à qui ont leur a dit d’apprendre leur instrument: «Tu peux apprendre à jouer et trouver ton propre style», nous leur disions. Nous avons eu une paire de batteurs qu’y ont joué avec nous. Au début, nous étions trois, avec deux guitares et une batterie, ce qui nous a rendu bons à élaborer des dynamiques. Nous n’avons commencé à tourner qu’en 1986.

La fin des années 80 et le début des années 90 connut un essor considérable de la culture musicale au Royaume Uni, avec des gens comme My Bloody Valentine et le label Creation Records…Quelle a été ton expérience? Formais-tu partie de cette scène?
Oui, bien sûr! J’ai de très bons souvenirs: la scène Ecstasy. C’était malade. Nous avons joué dans les premières raves, les Ecstasy Parties ou «X Parties». Il y a eu la X1, la X2 et comme ça, je crois qu’ils ont fait jusqu’à la 6. Il n’y avait pas de musique dance du tout, mais plutôt diverses disciplines psychédéliques qui se rencontraient. C’était très triste de voir comment après les choses devinrent juste de l’acid house, ou n’importe quelle autre sorte de house ou de dance music. Au début, la première acid house de la fin des années 80 était cinglée. Il y a eu une période très brève où je sentais que l’acid house avait quelque chose de vraiment progressif et de psychédélique. Ensuite, j’ai senti que tout commençait à sonner pareil, et la plupart des gens, le seul truc qu’ils voulaient dans un morceau pour danser était le «Douf Douf Douf» du kick, et c’était tout le temps ça. Autant qu’il y avait ce «Douf Douf Douf », avec n’importe quoi dessus, ils étaient contents. Pour moi, ce n’est pas très intéressant de travailler ce format, il y en a d’autres qui y sont très bons, comme Daft Punk, et qui ont occupé ce terrain de jeu. 

Comment a été le rapport entre la culture des drogues et ta musique?
Tu sais, nous étions un très petit groupe qui venait d’une petite ville. Le fait que nous appartenions à la culture des drogues a provoqué que les gens aient été un peu méfiants envers nous, de la même façon que cela en a inspiré d’autres. Ça a pris quelques années, mais je crois que dans l’ensemble cette période était très intéressante, surtout au niveau d’une certaine fertilisation entre les différents groupes.

Ensuite, vous vous êtes séparés avec Jason Pierce et tu as fondé E.A.R. et Spectrum qui allaient dans des directions opposées…
Oui, j’ai décidé que mon travail abstrait et qui ne collait à la structure d’une chanson devait être mis à part, voilà comment est né E.A.R. (Experimental Audio Research). J’ai gardé Spectrum juste pour les morceaux qui rentraient dans la catégorie de chansons. Avec eux, nous avons tourné pendant tout le mois dernier et il nous reste encore le mois prochain, et ensuite rentrer à la maison pour enregistrer et me dédier à des projets de studio.

Est-ce que tu enregistres quelque chose avec Spectrum?
Oui, je suis entrain d’enregistrer un album avec Spectrum que nous avons commencé à Berlin, l’année dernière, et maintenant je suis prêt à le faire avancer ailleurs et de travailler dessus ce qui suit. Aussi, j’ai des projets de labels sur lesquels je travaille maintenant, avec les Peaking Lights notamment, sur certains trucs.  

Tu as produit les MGMT et Moon Duo…est-ce que tu est encore dans la production?
Oui, j’ai bossé aussi avec Panda Bear et d’autres. Oui, je suis encore entrain de faire des trucs comme ça. Je suis entrain de faire du mastering, aussi (avec Red Krayola), lequel est le dernier procès, celui qui suit le mixage. C’est amusant car à ce moment tu peux vraiment construire ou casser quelque chose. Tu peux faire quelque chose de vraiment bien ou de ruiner un travail, si tu ne t’y connais pas. C’est un champ très négligé et je sens que je peux y faire quelque chose et d’aider des gens. J’ai fait un tas de mastering dernièrement, avec beaucoup de succès. Je crois que j’ai une approche différente que celle d’autres gens, peut-être un peu plus forte que ce que d’autres feraient, et j’essaie d’y être emphatique. Le résultat est plus fort que ce que les autres font et si tu l’aimes comme ça, ça marche très bien. La plupart des gens avec qui j’ai travaillé sont très contents du résultat: Sun Arraw, Red Krayola, Peaking Lights, Merchandise, Panda Bear, et bien d’autres, aussi.

J’ai vu qu’il y a une réédition des albums de Spacemen 3 en vinyle en cours: est-ce que tu as quelque chose à avoir avec ceci?
Non, pas du tout. Je ne les ai pas remastérisés moi-même et je crois que ce ne sont pas de très bons pressings, d’après ce que j’ai entendu. Un peu «sloppy», mais nous avons des négociations légales avec le label en question en ce moment…

Est-ce que tu crois que les Spacemen 3 sont plus connus maintenant qu’à l’époque?
Oui, j’en suis sûr. Je crois que Spacemen 3 est vraiment un groupe pour qui le web a été très bon, un peu à la façon d’un mémorial. Ce qui est bien, car les gens ont beaucoup arrêté d’acheter des disques. Alors, c’est agréable d’avoir un paiement en retour pour ça avec les rééditions. Ils viennent aux concerts, aussi, c’est vrai.

Est-ce qu’il y aura une réformation des Spacemen 3? Es-tu en de bons termes avec Jason Pierce?
Il n’y en aura point. C’est juste que je n’y voit pas l’intérêt.

Il y a un tas de groupes qui se réforment maintenant…
Il y en a juste trop! Et la plupart d’entre eux ne sonnent vraiment pas bien! Et je crois juste que c’est mieux de rester comme ça pour le bien de Spacemen 3. Tu sais? De mon côté, je prends beaucoup de plaisir à jouer avec Spectrum, et puis Jason sort en tournée avec Spiritualized: je crois que les gens sont mieux servis de cette façon. Je ne sais pas. Ce fut à l’époque, et de nos jours nous en vivons une autre. Si le groupe était arrivé maintenant, ce serait cool, mais ce n’est pas le cas, et c’est mieux comme ça.

Comment a été ton expérience de jouer dans d’autres groupes, comme My Bloody Valentine ou Stereolab?
Excellente! J’adore leur musique. Je vais aller voir maintenant My Bloody Valentine au Primavera Sound à Barcelone, je vais y rester une semaine. Ils font une tournée. Je les ai vu il y a quelque mois à Londres: il y avait un tas de nouveaux morceaux de l’album qu’ils viennent de sortir, qui est très très bien.

Pendant les années 90, tu manifestais ton enthousiasme pour les groupes psychédéliques et de space rock qui tournaient autour du label Kranky, comme Magnog ou Jessamine…Qu’écoutes-tu de nos jours?
Il y a tout un nouveau monde de bons groupes, actuellement, je crois. J’aime beaucoup cette sorte de «White Dub» que sont entrain de faire des gens comme Sun Arraw. C’est quelque chose que je ne croyais pas possible de matérialiser: des gens blancs qui font de très bonnes versions de matériaux repris du reggae, et qui peuvent traiter avec cette sorte d’art d’une manière très cool. C’est la même chose avec Panda Bear ou Peaking Lights: il y a tout ce cross-over entre la musique disco, le psychédélisme et le dub, que j’adore. Il y a un tas d’autres bons groupes: Moon Duo, qui sont merveilleux, les Vaccant Lots, aussi, qui se rapprochent de Gun Club, il y aussi les Cloud and Canyon, qui font de la disco façon Giorgio Moroder, mais très psyché. J’aime beaucoup la nü-disco, qui joue beaucoup avec des trucs psychédéliques. Il y a tout le temps des bons groupes. Panda Bear est un de mes préférés, il va sortir bientôt des infos à propos de son nouvel album. Il y travaille depuis qu’ils ont lancé le disque d’Animal Collective, l’année dernière. Il y a d’autres sorties qui viennent: MGMT est sur le point de sortir leur troisième disque avec plein de bons morceaux. Ils ont mis un paire de chanson commerciales, quoique pas autant que "Kids", et d’autres jams plus longues psychédéliques. Il est aussi bon que CONGRATULATIONS (2010) et je crois que cette fois ça va marcher grâce aux tubes qu’ils ont mixé avec le reste des chansons. On verra, ils sont entrain de jouer ces morceaux aux Etats Unis ces jours-ci. Ils font une tournée dans des petites villes pour chauffer les moteurs.

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