Poliça

Engagé, indépendant, le dernier LP de Poliça est à l’image de la féministe canadienne à laquelle il a emprunté le nom. Difficilement apprivoisable aussi, SHULAMITH nous renvoie sans tarder à la voix aquatique de Channy Leanagh, à ces nappes synthétiques titubantes, certainement les deux ingrédients majeurs  qui avaient permis de révéler le quintette (ils sont cinq en studio et quatre sur scène) de Minneapolis. Encensés par Bon Iver, les Américains ont maintenu le cap tant dans l’intention que dans le son, travaillé, peaufiné, décortiqué. Le premier titre de cet opus, “Chain My Name“ joue pourtant au trompe l’œil avec son humeur fleurie. Mais pas d’inquiétude pour les âmes grises, la vérité est plutôt à chercher du côté de titres comme “Warrior Lord“, “Very Cruel“ et “Matty“, morceaux au tempo lent, mélodies léchées au goût amer. D’une amertume pleine de beauté.

Après le succès de GIVE YOU THE GHOST on aurait pu craindre un album plus commercial. Il n’en est rien puisque Poliça continue à dicter sa loi sans prêter attention aux clins d’œil de la hype. Les Américains ne se reposent pas sur leurs lauriers pour autant, SHULAMITH surprendra même les plus fidèles disciples du groupe. Déjà, Channy Leanagh s’extirpe un peu plus des effets noyant l’oxygène de sa voix. Si l’autotune reste présent, la fille aux yeux bleus a résolument gagné en confiance. Et puis on peut le dire aujourd’hui, Poliça confirme sa stature et se glisse doucement dans les méandres de la véritable icône du trip-hop. Si l’ombre de Portishead ne plane pas sur l’intégralité de l’album, les génies de Bristol ne peuvent pas être innocents de toute influence à l’écoute du très bon “Very Cruel“. Un peu moins loin dans le temps, la mélancolie de  “Smug“ évoque Daughter, tandis que les grommellements électroniques de “Spilling Lines“, ressuscitent l’esprit electro-expérimental des Crystal Castles. De ce côté là, l’apport du producteur Ryan Olsen – à la base du groupe avec Channy Leanagh – est indiscutable. Pour résumer l’hémisphère cérébral de Poliça, il y a Channy, l’intuitive créative, le cerveau gauche artistique et à droite, Ryan le beatmaker rationnel, l’homme aux machines et à la science diffuse.

Poliça nous mène donc plus loin que jamais, dans ses paroles défiants toute gravité, dans sa douceur et sa violence, dichotomie avouée par Channy Leanagh en personne. Les pistes se brouillent et personne n’a la clé de ce rêve un peu étrange. La chanteuse confiait récemment au magazine New Noise que le groupe écoutait souvent du Kendrick Lamar ou Blonde Redhead. L’incroyable variété des influences, electro, rock, Rnb, inaugurait déjà l’originalité de Poliça dans sa production et son identité, une habitude confirmée sur ce nouvel opus. Dans cette même interview, la jeune maman confiait aussi qu’elle n’aimait pas évoquer sa musique et que le meilleur moyen de l’interpréter restait de l’écouter. Voilà une bonne raison de se plonger dans ce SHULAMITH comme dans un mirage d’exception, de paix et de désillusion.

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