My Bloody Valentine au Kilbi

Le concert de My Bloody Valentine a été un mélange surréaliste de rêve et de réalité, de violence et de sensualité, de la présence et la voix éthérées de Bilinda Butcher et du bruit massif des instruments. Ce fut aussi l'occasion de voir sur scène un groupe qui ne revenait pas depuis 21 ans jouer en Suisse, le temps pendant lequel s'est construite la légende autour de deux albums indispensables pour comprendre une esthétique basée sur le son et ses possibilités, aussi élargies que possible: ISN'T ANYTHING (1988) et LOVELESS (1991). Le temps, aussi, de revenir avec une reformation, en 2007, et la publication d'un très beau nouvel album, conçu pendant 20 ans, MBV, qui ouvrait encore plus les horizons sonores déjà entamés auparavant, en clôture d'or pour une trilogie conceptuelle.

Cette « vision musicale », selon les termes utilisés par le compositeur Kevin Shields lui-même et basée sur les vibrations harmoniques provoquées par l'écualisation, la distorsion, le bras du trémolo utilisé en permanence et le delay numérique, fut celle qu'on a pu, finalement, apprécier au Kilbi. Le spectacle, mis à part quelques problèmes techniques, fut impécable, d'autant plus par leur sens du perfectionnisme qui les mena à recommencer plus d'un morceau. Leur niveau et intensité sonique du bruit était à souhait, comme tout vrai fan pouvait s'y attendre, pour un groupe qui a une réputation de jouer sur les limites de la perception auditive (en ce sens, il faut bien rappeler qu'ils viennent de la même école expérimentale que Swans, Sonic Youth et Dinosaur Jr, pour qui le volume fait partie esentielle de leurs présentations).

"Soon", "Cigarette in Your Bed", "Come in Alone", "New You", "Only Tomorrow"… My Bloody Valentine aura tout donné quant au choix des morceaux phares de LOVELESS, de leurs Eps et du dernier MBV, paru cette année. Debbie Googe, avec son jeu de basse très physique, se complémentait à la perfection avec Colm O'Coisog et son jeu déchainé à la batterie, et avec le mur du son de la guitarre de Kevin Shields (littéralément à côté d'une paroi de deux colonnes d'amplificateurs), en plus de la présence angélicale de Bilinda Butcher (invitée deux soirs plus tard par les Jesus and Mary Chain pour chanter leur classique "Just like Honey" au Primavera Sound).

Les My Bloody Valentine s'exercent à défier leur public avec leur artillerie bruitiste et cathartique, ce n'est pas pour rien qu'ils font une partie spécialement noise sur "Your made me Realize", section qu'ils ont baptisé comme l'holocauste, et qui a fait fuir une partie importante du public au Kilbi vers la scène où jouaient les bien plus complaisants Tinariwen. A Vennes en 1992, il en fut de même, MBV est, peut-être, un groupe extrême que pas tout le monde comprend, ils sont trop épris par l'avantgarde et la volonté de faire vivre une expérience au niveau des sens.

C'était même très sympathique d'entendre des commentaires par la suite, comme quoi on n'entendait pas assez les voix ou que le bruit était inaudible. Cela fait partie justement de leur projet, de leur conception musicale. C'est en partie pour cela que LOVELESS a mis deux ans pour être fini: ils devaient aller de studio en studio car tous les ingénieurs du son avec qui ils ont travaillé (mis à part le génial Alain Moulder) voulaient les corriger et leur imposer une norme conventionnelle, après quoi ils se disputaient et partaient voir ailleurs. Ce qui est drôle, c'est que même 20 ans après ceci, ils restent tout aussi en décalage avec leur époque. "Musique facile pour oreilles difficiles", leur concert fut un rêve devenu réalité.

Rien n'a été dit, par contre, par rapport à la puissance éminemment érotique et sexuelle de leur musique intense et distorsionnée, munie de paroles qui en sont le reflet parfait. La superbe "To Here Knows When" en fut le meilleur exemple: « J'embrasse ta peur, ton bouton rouge tombe de ma bouche. Glisse ta robe sur ton visage, ça fait si longtemps. Mets-toi dessus, parce que comme ça, tu pourras l'embrasser elle aussi… » Ouverture sur l'avenir, le concert a fini avec "Wonder 2" à 3 guitares, basse et batterie électro aux pulsations jungle saturées et noyées dans le son d'une turbine d'avion au décollage. Merveilleux. 

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