Widowspeak en interview

Widowspeak vient de sortir un deuxième album ce qui les ramène en Europe une nouvelle fois, le temps d'une tournée. ALMANAC est le fruit exotique en question, mélange de désert et de forêt, paysages du vaste espace américain. La musique du groupe établi à Brooklyn est mystérieuse et s'interne dans des styles et des temporalités multiples, du folk des années 70 à l'americana d'Ennio Morricone, au rock psyché.

Le duo de Molly Hamilton et Robert Earl Thomas croise les références pour en découler une appropriation subtile et pleine de sensualité, en y ajoutant des éléments de tension dans leurs rythmes et mélodies. Du calme, la musique de Widowspeak peut aller vers des envolées psychédéliques et bruyantes tintées de différents sons de guitare (distorsion, delay, slide, écho), le tout surmonté par la voix douce et un peu hantée de Hamilton. Les nouveaux morceaux résonnent sur les parois du Romandie avec une force atemporelle, déchainée et mystique, en même temps, pendant le concert. "Ballad of the Golden Hour", "The Dark Age" et "Sore Eyes" basculent des explosions soniques à une intimité de velours proche de la transe enivrante de Hope Sandoval, noyée dans une volupté sombre et menaçante. Des anciens morceaux, comme le tube "Gun Shy", ou "In the Pines" et "Harsh Realms", reçoivent une interprétation impécable et sensible, avec leur reprise "Wicked Game" de Chris Isaac en guise de rappel, très applaudi par le public.

Lords of Rock: Vos morceaux changent beaucoup: calmes, au début, vers des fins bruyantes…
Robert: Oui, je crois que cela a avoir avec la façon dont on a écrit les morceaux, c'est à dire en faisant une structure, puis on y ajoutant des couches. Il y a cette idée de cycle, aussi, de que cette structure se répète, mais avec des éléments nouveaux à chaque fois. Avant, je jouais dans des groupes de rock, et les changements étaient très rapides. La voix de Molly est très douce, donc je fais des transitions doucement, aussi.
Molly: J'aime beaucoup l'idée qu'il y a dans la vieille folk de reprendre des idées et les faire tourner, parfois en les jouant par différents instruments à différents moments. Mais, nous restons un groupe de rock avec des guitares électriques, donc les morceaux vont forcément en ressentir: nous adorons les envolées soniques, les paysages sonores.

ALMANAC semble plus focalisé que votre premier disque…
Robert: En effet, pour le premier, on l'a fait sur la route, on n'avait rien préparé.
Molly: Pour ALMANAC, nous avions une vision très claire, nous voulions que "Perennials" soit le morceau d'ouverture, et la progression qu'allait subir l'album, en gardant "Storm King" pour la fin, et que nous voulions une chanson folk qui ne soit pas sérieuse, d'où est née "Minnewaska". Nous savions les éléments qu'on voulait utiliser.

Comment a été le processus créatif pour enregistrer ALMANAC?
Robert: Très satisfaisant, et très méthodique, aussi. Nous étions un trio, puis un quatuor, et puis il ne resta que nous deux après les départs du batteur et du bassiste. Alors on s'est posés pour écrire le disque, livrés à nous-mêmes. Nous avons fait le mapping de tout. Molly a travaillé ses idées et les paroles sur son laptop, et moi je me suis mis de mon côté à créer des démos sur mon ordinateur. Alors, on a tout planifié, en le ressentant comme un projet très développé.
Molly: C'est totalement différent à quand tu as un groupe, où il s'agit plus de trainer ensemble, d'échanger des idées entre les différents musiciens, de répéter… Dans notre cas c'était plutôt: "ok, on doit écrire des chansons et on n'a pas de bassiste et on n'a pas de batteur".

Vous avez tout joué dans l'album?
Robert: Nous avons écrit toutes les parties. Nous avions Kyle, notre nouveau batteur, pour enregistrer la batterie, mais je sais jouer un peu et je lui ai montré ce que je voulais. Tout le reste c'est surtout moi qui joue tout, et puis Molly qui fait sa guitare. Après, au studio, on a fait une semaine avec Kyle pour la batterie, et puis encore deux autres où j’ai presque tout fait moi-même, en enregistrant une chose à la fois, ce qui est en quelque sorte à l’envers de comment on fait avec un groupe, où on répète d'abord et après on se dit: ok, voilà les chansons…
Molly: Oui, notre bassiste actuel fait quelques lignes de basse dans l’album, aussi. Je pense que même si c'est une façon non-traditionnelle de composer, je l'aime bien. C'est a dire d'approcher les choses lentement et de façon méthodique. J'avais ce laptop où je notais absolument tout: des mots que j'aimais, des idées que j'ai eues, des sentiments… en imaginant parfaitement la forme que je voulais que ça prenne. Et après, Robert faisait cela parce qu’il faisait que toutes les chansons aillent bien ensemble.
Robert: Arranger tout. Ce qui était positif, car parfois tu te prends la tête avec d’autres gens dans un groupe, à cause d’estimer quelles parties devraient aller ensemble et de quelle façon, ce qui arrive tout le temps pendant les répétitions. Je crois qu’on a grandi depuis le premier album.
Molly: Je crois qu’ALMANAC avait besoin d’un processus comme celui-ci. Chaotique, quoique pas vraiment,  il me semble plus focalisé comme résultat. La manière dont tout s'est déroulé est parfaite, dans un grenier…
Robert: Pour le prochain disque je pense qu'on fera pareil. C'est à dire que nous allons tout enregistrer par nous mêmes et puis après monter un groupe pour tourner le disque. Je veux pas que le prochain album aie un son live.
Molly: Tu ne peux pas remplacer ça. Je crois que l'énergie que nous avons en jouant tous ensemble comme un groupe est très différente de celle que tu peux obtenir avec chacun qui enregistre ses parties de manière séparée, dans une situation de studio.

Pensiez vous faire du titre 'Almanac' une sorte de concepte?
Molly: Oui, en quelque sorte au début je voulais faire une sorte d'album concept autour de la fin du monde, et sur la fin des choses, et avoir beaucoup de références visuelles à des désastres naturels, et le plus j'écrivais à propos de ceci, je me rendais compte que j'allais plutôt vers des choses de ma propre vie, comme des changements, des fins et des débuts…et, pour être honnête, quand j'étais au boulot- je travaillais dans un café-, j'avais mon I-phone, et je ne l'utilisais pas pour écrire ou quoi que ce soit: j'étais juste assise entrain de regarder Wikipédia: des trucs d'histoire, sur les cycles, la lune, des choses comme ça…et j'écrivais beaucoup de vocabulaire et je continuais à faire mes recherches. Alors, il y avait les désastres naturels, et puis les cycles naturels, et le mot « Almanac » apparaissait tout le temps. C'était quelque chose de si accidentel que j'ai commencé à chercher autour des almanachs et de leur histoire. C'est un truc un peu américain, et ça va très bien avec le fait que nous explorions des styles comme l'americana dans cet album. Mais, ça ne vient pas juste des États Unis, c'est présent dans un tas de cultures, quoiqu'un des plus connus est celui de Benjamin Franklin.
Robert: C'est cool que ce qui a commencé par être une sorte d'album concept, ce qui peut être génial mais qui pour nous aurait pu être maladroit, avec trop de contraintes, devint quelque chose de plus réaliste. C'est plutôt un des thèmes que nous avons exploré.
Molly: Il y a quelque chose dans les chansons de l'album -qui sont toutes à propos de fins ou de débuts, de cycles- de très récurrent.
Robert: C'est un peu le mot clé, on aurait pu l'appeler 'cycles', mais c'est un très mauvais nom.
Molly: Je crois que le monde naturel a été aussi une de nos préoccupations principales. Même en tant que juste des "touristes", tu sais?
Robert: L'histoire, aussi. On se déplaçait partout voir des trucs qui eussent un rapport avec le vieux monde. Comme ici, où nous sommes à l'intérieur d'un pont…

Quels furent les thèmes principaux pour les paroles de l'album?
Molly: Je crois que c'est surtout autour d'avoir eu l'expérience de changements dans les relations personnelles, des fins, et sur l'idée de quitter le foyer et de ressentir un nouveau sens de permanence: des périodes avec des choses qui s'en vont, et puis après le calme. Tu sais? Je crois que nous avons un son nostalgique, mais la nostalgie aussi c'est quelque chose autour de laquelle j'écris beaucoup, car parfois je sens que je suis coincée dans une période du temps dans laquelle je ne me sens pas vraiment confortable. Je sais, j'ai un Iphone et tout ça, mais, de façon créative, je crois que le panorama est plutôt glauque. C'est comme si je n'avais pas vraiment envie de vivre dans le XXIème siècle, mais que j'y étais obligée…

A cause de la technologie?
Molly: Je crois que tout va trop vite, j'aimerais que les choses aillent plus lentement. J'écris à propos de ça, la fin de quelque chose, même si le monde n'est pas entrain de finir, mais il devient fou dans une certaine mesure. J'aime vivre dans le futur mais ne pas perdre dans la technologie ce qui nous reste d'humains… c'est contradictoire, car d'un autre côté, j'adore vivre dans le XXIème siècle. Et puis les gens ici en Europe connaissent ma musique et peuvent venir à nos concerts, tout ça grâce à Internet! Le temps que nous vivons maintenant ne va jamais exister à nouveau. Peut-être que, dans le futur, les gens seront nostalgiques du XXIème siècle. Nous serons dans l'espace, surement, qui sait?

Comment se passa votre déménagement à New York?
Robert: Nous habitions là indépendamment déjà depuis 5 ans avant de nous connaitre.
Molly: Nous étions arrivés là pour suivre des études à l'université, et puis j'ai connu notre ancien batteur qui nous a présentés. Lui, il voulait monter un groupe car il aimait bien comment je chantais et mes morceaux, et il m'a proposé de jouer de la batterie avec moi.
Robert: J'aime bien habiter à New York. J'étais à la fac jusqu'au début du groupe, tandis que Molly l'avait quittée avant ça.

Qu'est-ce que tu étudiais?
Molly: J'étais à la New School et j'étudiais l'histoire de la confection des livres, des vieux manuscrits et quelques cours d'art, aussi. Ce n'était pas vraiment une école qui avait le profil designer que je recherchais. J'étais bien confuse. Je crois que le groupe m'a permis de me stabiliser. J'adore l'aspect littéraire d'écrire les paroles, et de ne pas rester juste sur la musique, mais d'explorer d'autres aspects artistiques du projet, comme son image, le visuel, et d'y construire un monde autour.
Robert: Oui, je crois qu'on t'a capturée, que tu flottais dans l'espace pendant deux ans. Nous t'avons donné un sens du propos.

Est-ce que vous faites vous mêmes l'art de vos pochettes et posters?
Molly: Oui, l'idée, mais nous avons un photographe qui capture des images de la nature pour nous. Le premier album tournait plutôt autour de dessins faits par un autre artiste.
Robert: Pour le deuxième nous voulions absolument une photo pour la pochette car nous étions vraiment passionnés par des disques de folk seventies et ils ont tous une photo du groupe en question dans la nature. Il nous a paru marrant de nous prendre en photo, mais dans le contexte de ce que nous avions envie de faire, cela m'a semblé très cohérent.
Molly: Il y a un tas de gens qui ne prennent pas conscience qu'ils sont des auteurs, qu'ils sont derrière une musique, et il y en a d'autres qui disent être en contrôle artistique à 100%. Pour nous, c'est nous remettre à une époque où tout le monde était sur la pochette, sans prêter d'importance à qui qu'ils soient. Comme Crosby, Still and Nash. Un portrait, mais sans caractérisation. J'écoute beaucoup de folk, mais sans me dire que c'est le truc le plus cool au monde, sinon que simplement j'apprécie que ça va au-delà du temps, que ça ne change jamais. On écoute un tas d'autres musiques, mais dans des termes de référence visuelle, j'adore où la décennie des seventies se situe.

La pochette est donc cohérente avec l'album…
Robert: C'était parfait aussi dans le contexte de l'enregistrement du disque, car nous l'avons fait dans un grenier, vieux d'une centaine d'années, au beau milieu de la forêt. C'était à deux heures de la ville et la photo de la pochette a été prise à 10 minutes de notre studio, donc voilà une autre raison. Ceci complète la vue d'ensemble d'où le disque a été créé. Il y a aussi beaucoup de sons de cet endroit dans l'album. On a enregistré des oiseaux, des gens qui marchent, de la pluie…alors ceci situe le disque dans un espace de création, où nous avons habité, d'ailleurs, pendant un mois.
Molly: Oui, on a joué à dormir entre des tipis et les chambres que nous avions à disposition, une sorte d'expérience intérieur-extérieur, avec des grillades… (rires). Il y avait ce magasin de sucreries en ville, on essayait d'avoir des deals, on marchait sur la grande rue et on prennait ce qu'on trouvait, des choses pour cuire, des pommes de terre, du broccoli, sans savoir quoi en faire après sur le grill.
Robert: Je m'en suis bien sorti! (rires)

Avez-vous enregistré pendant l'été?
Molly: C'était plutôt la fin, entre septembre et début octobre. C'était juste quand les saisons changent, mais ce n'était pas encore l'automne. C'était quand la couleur des feuilles commence à changer, donc il faisait encore bon.

 

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