mercredi , 11 décembre 2024
Le 20ème anniversaire de la sortie de The Stone Roses, premier album du groupe de Ian Brown, a suscité de belles envolées lyriques de la presse spécialisée. Et si on remettait tout à plat, avec une chronique partisane du rédacteur en chef Julien Gremaud et une critique aiguisée de notre érudit Crocodile Duffy ? Action.

The Stone Roses


 

 

Le 20ème anniversaire de la sortie de THE STONE ROSES, premier album du groupe de Ian Brown, a suscité de belles envolées lyriques chez la presse spécialisée. Et si on remettait tout à plat, avec une chronique partisane du rédacteur en chef Julien Gremaud et une critique aiguisée de notre érudit Crocodile Duffy ? Action.

 

 

POUR

Un train qui avance au loin, des réminiscences métallurgiques ou, au choix, des échos de vent glacial du Nord, et l’arrivée d’une basse. Pas franchement joué avec une patte experte, on sent l’urgence de l’enregistrement. Les guitares s’en mêlent puis s’emmellent. Vous voici face à “I Wanna Be Adored”, morceau inaugural du tant célébré THE STONE ROSES, album éponyme du groupe mancunien. Et il y a cette voix, en écho, parfois doublée, pas franchement artistiquement assurée mais ô combien acerbe. La voix de Ian Brown. « I wanna be adored » : plus que les mots (on peut croire à l’ironie), l’impression de se trouver face à quelque chose d’important, un sentiment, peut-être une intuition, parce qu’après tout on est fan des Smiths et qu’on a adoré The La’s. “She Bangs The Sun” : quasi le même plan de basse martial, d’une froideur non lointaine de celle de Peter Hook, de Joy Division, les guitares voltigent toujours. « Have you seen her / Have you hear / The way she plays there are no words / To describe the way I feel », le refrain est repris admirablement en chœurs toxiques, les paroles, on s’en fout, c’est l’atmosphère qui compte.

 

“Waterfall” tente lui le coup de la chanson épique, son vintage inspiré du psychédélisme sixites avant un solo joué pédale wah-wah plein pot par John Squire puis survient le déluge sonore annonçant la future fusion rock et dance music. Il y aussi ce “Made of Stone”, chef d’œuvre lyrique de Ian Brown. Très classique – arpèges de Squire, refrain emphatique, dyptique grosse caisse – caisse claire au son énorme – le morceau est peut-être l’étendard des Stone Roses. Les plus malins diront eux qu’ils tout ont piqué de Morrissey et de REM dans leurs désirs d’être plus grands que les Beatles… “This Is The One” déroule son flegme, Ian Brown murmure, disparaît sous les fracas multiples de Squire, Mani (basse) et Reni (batterie). On dirait du Queen avant de cafouiller quelque peu dans ses prétentions : hymne aux lads ? Prog-rock ? Ou simple pastiche glisseront les sceptiques ?

 

 

L’impression de se trouver face à quelque chose d’important

 

 

En final, “I Am The Resurrection”, que le NME avait placé en 8ème position des plus grands hymnes indie. Ian Brown : « J’avais vu une fresque avec ces mots écrits en fluo. Placée à la porte d’entrée d’un église, elle m’avait impressionné » avant de s’épancher sur un pamphlet anti-chrisique. Le morceau est lui plus carré, magistralement orchestré, avant d’opérer un break crossover, dément pour les fans, horribles pour les autres. Un morceau sans fin (8’12’’) qui offrait clés en mains les bons filons que certains reproduiront à l’excès. Encore une fois, on reste hésitant sur le rendu concret. Pour cette réédition anniversaire, le label a eu fin nez en glissant, en bonus, le single “Fools Gold”, lui aussi bien trop long. Reste que les prétentions étaient tout autres et plaçait le groupe sur les rails du succès dans les dancefloor. “Fools Gold”, ou le “Guns of Brixton” des Stone Roses, tribal, dance, cramé.

 

Produit par John Leckie, cet album gravé dans le marbre par toute une nation n’a pas vraiment de grandes chansons, mais bien une incroyable personnalité, son truc à lui. C’est peut-être irrationnel, je ne sais pas. Leckie avouait au magazine Magic le mois passé : « Les Stone Roses étaient très unis, comme un gang, une véritable famille. (…) Ils partageaient une foi très profonde dans leur succès à venir. (…) Il se dégageait une alchimie vraiment particulière ». Sans les Stone Roses, Oasis n’aurait même pas existé plus loin que leur coin de rue. Ian Brown a amené son groupe dans une autre dimension. Non pas celui de groupe national d’Angleterre – hymne national à l’appui – mais bien celui de groupe culte, vénéré autant pour cet aura insubmersible que cette propension à rater là où il faut, c’est-à-dire aux portes de la gloire. Reste cette énigme : ose-t-on classer THE STONE ROSES aux côtés de REVOLVER, PET SOUNDS et j’en passe ?

Julien Gremaud

CONTRE

Hum, bon, ben là il va falloir que je me lance. Pas facile. Parce qu’en face de moi il y a une montagne énorme à gravir. Rien moins que le mythique premier album des Stones Roses. Qui ressort aujourd’hui en édition super collector pour fêter ses 20 ans avec remasterisation, bonus, singles, faces B, démos et tout le toutim. Ah le premier Stone Roses. Considéré par certains (Les Inrockuptibles, la moitié de la presse rock anglaise) comme le meilleur premier album de tous les temps, et par d’autres (moi le premier…) comme l’un des disques les plus surestimés de l’histoire du rock. Aïe.

Bon déjà pour bien comprendre, il faut se re-projeter trente secondes dans l’Angleterre rock de 1989. Laquelle est quasiment au niveau le plus faible de toute son histoire. Coincée entre la période guitares claires des Smiths et des Housemartins, et la période Britpop de Blur, Suede, Oasis et Pulp, l’Angleterre rock ne fait pas vraiment la fière en 1989. Elle n’offre pas vraiment grand-chose de consistant à se mettre sous la dent. Du coup la presse là-bas (NME et Melody Maker en tête) va littéralement inventer un mouvement nommé Madchester, censé regrouper des groupes mêlant ‘dance’ et rock, et y coller des gens aussi différents qu’Inspiral Carpets, A Guy Called Gerald ou James (vous êtes jeunes et vous ne connaissez aucune de ces formations ? Ce n’est pas bien grave, vous ne perdez pas grand-chose).

 

Arrivés à peu près à cette époque, les Stone Roses vont naturellement être eux aussi estampillés Madchester. Même si leur premier album sorti en mars 89 ne comprend que très, très peu d’éléments ‘dance’. Ce tout premier disque est plutôt une sorte de « psychédélic pop revival », les Stone Roses ramenant l’auditeur grosso modo en 1966, et plutôt du côté de la Californie des Byrds, de Jefferson Airplane ou de Buffalo Springfield (vous êtes jeunes et vous ne connaissez aucune de ces formations ? Là par contre c’est très grave…) que du Londres des Beatles ou des Kinks. En tout cas la presse rock anglaise a réussi son coup : faire croire qu’il se passait vraiment quelque chose là-bas en 88-89, relancer les ventes de disque (et du coup accessoirement inventer la guerre Blur / Oasis cinq ans avant Blur et Oasis, en opposant, déjà, une bande de prolos fêtards, les Happy Mondays, à des gens un poil plus raffinés et cultivés, les Stone Roses). Voilà pourquoi, au milieu du désert qu’a été 1989 en Angleterre (90 et 91 ont été aussi horribles…) le premier Stone Roses a pu apparaître, pour les âmes faibles, comme un monument.

 

 

 

L’un des disques les plus surestimés de l’histoire du rock

 

 

Et ce disque alors ? Eh bien il commence plutôt fort avec ce qui est sûrement le plus grand morceau du groupe, “I Wanna Be Adored”. La composition est superbe, très mélodique, la rythmique est souple et légèrement chaloupée, la production de John Leckie est parfaite, bref ça part bien. “She Bangs The Drums” qui arrive derrière est un peu inférieure, pas beaucoup, et reste encore très bonne dans le genre ‘pop aux harmonies sixties à mort’, alors que “Waterfall”, qui part dans une partie instrumentale qui monte crescendo mais qui malheureusement s’arrête d’un coup au moment où elle était censée exploser, commence déjà sérieusement à marquer le pas. Mais c’est là que les problèmes commencent vraiment. “Don’t Stop” débute avec une interminable intro de deux minutes (qui reprend quasiment la même rythmique que “Waterfall”) qui est juste une banale jam de musicos qui s’amusent à faire des expérimentations en studio. Sauf que si ces arrangements auraient pu paraître géniaux il y a bien longtemps (passer des bandes à l’envers, ouah, grandiose, les Beatles faisaient déjà ça en 66), en 89, on dirait plutôt une bande de primates découvrant les boutons et les voyants d’un studio. Et quand la soi-disant mélodie arrive enfin, on regrette presque que le groupe n’en soit pas resté là pour cette chanson.

 

Arrive ensuite le sympathique “Bye Bye Bad Man”, puis la blague “Elizabeth My Dear” petite ritournelle à la guitare de 59 secondes qui vient faire Dieu seul sait quoi ici. Enfin quand je dis la blague… Simon & Garfunkel eux n’ont pas pris ça à la blague. Ils ont reconnu dans ce morceau un pillage éhonté de leur propre  “Scarborough Fair”. Un tribunal leur a donné raison. “Sugar Spun Sister” est sympathique, le single “Made of Stone” même encore un peu mieux que ça. “Shoot You Down” est une (tentative de) ballade soporifique à souhait. “This is The One” est plutôt bonne, et “I Am The Resurrection”, après une partie chantée assez banale, finit sur une formidable partie instrumentale.

 

 

Et le premier Hendrix, le premier Doors, le premier Velvet Underground,
le premier Pink Floyd ou le premier Pretenders, c’est de la merde ?

 

 

Il n’est évidemment pas question de dire que THE STONE ROSES est un mauvais disque. Mais le meilleur premier album de tous les temps, faut être sérieux une minute (et le premier Hendrix, le premier Doors, le premier Velvet Underground, le premier Pink Floyd ou le premier Pretenders, c’est de la merde ?). A vrai dire, THE STONE ROSES n’est même pas le meilleur album de 89 (DOOLITTLE des Pixies et une petite dizaine d’autres sont devant). Et puis franchement, à l’époque, si vous vouliez un vrai bon mélange ‘dance’ et rock ou de la super pop sixties millésimée, vous aviez respectivement PILLS N’THRILLS & BELLYACHES des Happy Mondays et le premier (et unique) album des La’s, tous deux sortis quelques mois plus tard et qui sont supérieurs absolument à tous les niveaux à THE STONE ROSES (lequel hésite en permanence entre ces deux tendances et du coup n’excelle dans aucune).

 

Que reste-t-il donc des Stone Roses aujourd’hui ? Eh bien pas grand chose à vrai dire. Il y a donc ce premier album, gentil disque de pop anglaise comme il en est sorti 50 depuis (The Verve, Boo Radleys, Teenage Fanclub, Kasabian…). Une poignée de singles épuisants basés sur de loooongues jams (“Elephant Stone”, les interminables 10 minutes de “Fools Gold”…) et regroupés pour la plupart sur cette édition collector avec leurs terrifiantes faces B. Un second album quasiment du même niveau que le premier, sorti cinq ans plus tard, mais qui bizarrement sera descendus en flèche par les mêmes qui avaient porté THE STONE ROSES au pinacle. Et puis plus rien. Ian Brown, le chanteur qui comme tant d’autres tentait de singer Mick Jagger (même Jean-Louis Aubert faisait ça mieux que lui) a sorti une poignée d’albums solo pour la plupart pathétiques (GOLDEN GREATS de 99 étant le seul à peu près correct) et projetterait sérieusement de sortir un disque concept inspiré du THRILLER de Michael Jackson (!!!!). John Squire (un des guitaristes les plus surestimés, là aussi, de l’histoire du rock, bon techniquement mais à l’imagination très limitée et au style quasi inexistant) a remonté un certain nombre d’autres groupes qui n’ont jamais eu le moindre succès. Et puis pour un disque soi-disant historique, le moins que l’on puisse, c’est que les groupes qui depuis 89 se sont réclamés de l’influence des Stone Roses ne sont pas légion… Bref, pour un cliché instantané de l’Angleterre rock en 89, cet album fait sûrement l’affaire. Pour le reste, pfff….

Crocodile Duffy

About Author

Check Also

Neverfall sort l’album de ton automne

Lorsque la ville d’Yverdon-les-Bains est évoquée dans la presse ces derniers temps, ce n’est malheureusement …

2 comments

  1. I AM THE RESURRECTION
    A sa sortie, ce disque a fait l’effet d’une bombe (pas seulement pour les âmes faibles…). Les Stone Roses étaient très forts et bien meilleurs qu’Oasis.

  2. hey les gars si Crocodile Duffy est votre expert vous êtes mal barrés. Doolittle c’est 88. A Guy CAlled Gerald c’est de la Drum’n’bass. Don’t Stop ce n’est pas une Jam c’est une bande (celle de Waterfall, d’où la ressemblance) passée à l’envers.

    L’album des La’s ne sera jamais reconnu par Lee Mavers le trouvant super naze. Quand aux Happy Mondays l’album est sorti l’année suivante.

    Ce qui est juste en revanche c’est le fait que l’album est sorti dans un creux de la pop à guitares entre la fin des Smiths et l’avènement de la Brit-pop. Brit-pop qui ne tarira pas d’éloges sur les Roses et qui s’en proclamera ouvertement, tout comme The Horrors par exemple pour citer une groupe récent.

    La dimension qui est complètement ignorée par Jojo le Croco c’est la dimension sociale et culturelle. Les Roses en Angleterre perpetuent la merveilleuse tradition des groupes cultes qui incarnent parfaitement la culture pop britannique des Stones aux Jams en passant par les Smiths Oasis etc … Les textes, l’attitude, tout concourt à cette dimension culte (qui font de Shoot You Down un des meilleurs titres et qui explique l’incompréhension de l’album par Croustifondant. J’ai vécu à Londres de 96 à 98 et tous mes potes anglais etaient hard core fans de ce disque (régulièrement diffusé à Old Trafford).

    Bises tout de même.

    Bref : aligné avec le NME : le meilleur album de l’histoire de la pop britannique.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

fr_FRFrench