The Notwist à Antigel

En plus de 25 ans de carrière, les allemands de The Notwist se sont forgés une identité forte et reconnaissable. De passage à Genève dans le cadre de l'excellent festival Antigel (Lambchop, Steve Gunn, Luke Abbott et Patti Smith à l'affiche cette année), le groupe dirigé par les frères Micha et Markus Acher, ainsi que par Martin Gretschmann, a démontré être une entité organique et vivante lorsqu'il s'agit d'aborder la scène.

À mi-chemin entre le rock, la pop et l'électronique, The Notwist laisse ses morceaux croître au fur et à mesure que ceux-ci se développent. Les musiciens (dé)construisent leurs compositions en partant parfois d'éléments très simples qui se répètent: une boucle électro, une ligne de guitare, un rythme de batterie ou une mélodie au clavier. Le reste des instruments vient s'ajouter par couches par la suite, en formant un tissu dense et captivant.

En effet, les sons se superposent et se succèdent de façon biologique et naturelle, tel la croissance d'une plante. 'Signals', qui ouvre les feux à l'Alhambra, fait penser  aux maîtres anglais de la déconstruction électro, Autechre, vu ses rythmes fragmentés. La chanson suivante, 'Kong', finit en apogée et en transe, comme la plupart ce soir-là. C'est le côté kraut rock de Notwist qui apparaît ici, lorsque les musiciens restent collés sur une note répétée à l'infini.

Le dernier album du groupe est un live, par ailleurs, SUPERHEROES, GHOSTVILLAINS & STUFF (2016, SUB POP), qui documente à la perfection le son en concert de Notwist, radicalement différent de celui du studio. Il s'agit là d'un outil nécessaire pour se repérer, car il est difficile de se souvenir avec précision de leur spectacle, à cause de la profusion ébouriffante de stimuli auditifs (et visuels). La scène provoque un sentiment de communion et de fusion.

Une certaine nostalgie transperce leur musique, comme un transit d' âmes dans l'espace en quête d'une nouvelle vie. L'art du disque THE DEVIL, YOU AND ME (2008) est justement inspiré par des fusées et des astronautes: cette dimension flottante apparaît également dans les chansons. Les compositions minimalistes (basées sur la répétition et la différence) sont des voyages: il y a un point de départ, un parcours et un point d'arrivée souvent orgasmique. Le morceau vit une petite mort lors de sa dissolution totale vers la fin.  

Les Notwist jouent une douzaine de morceaux en près d'une heure et demie de concert. Avec six musiciens sur scène (batterie, guitares, basse, claviers et vibraphone), le groupe sonne très fort et étire les chansons, lesquelles doublent souvent la durée des versions sur albums. C'est comme si les enregistrements en studio étaient plutôt des maquettes ou des modèles à suivre, sur lesquelles pouvoir improviser par la suite.

C'est le cas notamment de 'Pilot', un des tubes de leur disque NEON GOLDEN (2002), devenu un classique: les allemands s'y amusent pendant presque vingt minutes, avec des passages improvisés et bruyants.

Le magnifique théâtre de l'Alhambra, dans la vieille ville de Genève, offre un cadre parfait à l'atmosphère envoûtante et déchaînée des Notwist. Car si le sextuor propose des morceaux électroniques, comme 'Signals', ou calmes ('The devil, you and me'), il interprète également des chansons plus énergiques, tel que 'Kong' et la très puissante 'This room', au rythme drum and bass et au jeu très jazz, ou encore une surprenante 'Puzzle', issue de l'album 12 (1995), aux guitares incandescentes.

Les allemands savent aussi être touchants, avec 'Boneless' et 'Gloomy Planets', aux accords chaleureux et aux envolées rêveuses. Les guitares et les synthétiseurs s'ajoutent jusqu'à décoller du sol dans un dialogue libre et sans contraintes. Par contre, la mélodie sinueuse de 'Run run run' donne envie de partir en courant, elle reproduit exactement une sensation oppressive et inquiétante, avant de virer vers un son techno pas loin d' Underworld et leur 'Like a train'.'Pick up the phone' offre la note mélancolique de la soirée, à la beauté troublante des mélodies, qui contraste avec les beats électro du morceau. "Prends le téléphone et réponds-moi enfin", c'est l'attente infinie de la réconciliation: "Aujourd'hui, je vais sortir de ton passé".

   

La musique de Notwist est le fruit du mélange de plusieurs sources (et ressources), du sampler et le tourne-disque au chaos-pad, en plus d'instruments plus conventionnels (basse, guitare, batterie et claviers). Le tout est manipulé sur scène, en suivant l'humeur du jour. 

Les guitares enrichissent leur son avec des pédales d'effets, tandis que les machines créent des boucles fragmentées à l'infini. À la base, il s'agît de musiciens issus du jazz qui ont voulu monter un groupe de rock et explorer de nouveaux horizons. Cela se sent lors du concert à Genève, grâce aux improvisations libertaires et libératrices du sextuor. Le public bouge, extasié.

Pour le style, il est possible de citer le kraut rock allemand des années 70 (de CAN, Kraftwerk et Neu) comme référence pour The Notwist. En effet, il s'agit d'une basse ferme et répétitive appuyée sur une batterie qui fait des boucles, survolée de guitares et claviers. Cela crée un effet de transe presque subliminale.

Quoique, la musique de Notwist peut être cataloguée comme 'post-tout', car elle se nourrit de partout: de la dub à l'électronique, en passant par la musique concrète, du jazz à la drum and bass, du post rock à la trip hop et au spaghetti western. À son tour, le groupe des frères Acher a beaucoup influencé Radiohead, lorsque les anglais ont commencé à mélanger le rock et l'électronique "de pointe" avec KID A (2000).

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