The Jesus and Mary Chain à la Nox Orae

Le deuxième soir du festival Nox Orae commence avec les genevois de The Cats Never Sleep et leur brit pop groovy et psyché en parfait accord avec le coucher de soleil estival au bord du lac Léman. Par la suite, Ty Segall monte sur scène avec son quintette pour mitrailler l’audience avec un rock sauvage et lourd, très démonstratif et étoffé de breaks et de solos.

C’est comme si l’américain avait incorporé chaque « truc » du rock, de Black Sabbath à Mudhoney, en passant par Soundgarden et MC5, pour le restituer lors de son spectacle. D’ailleurs, dans ce sens-là (et par son costume rouge), il se rapproche du classicisme de Jack White, dans sa recherche du style. Cette avalanche assourdissante et qui change toutes les cinq secondes a l’air de choquer les passants du quartier qui se baladent avec des poussettes en dehors de l’enceinte du festival, effarés et violentés par le bruit intense de Ty Segall.

La scène est drôle : its only rock and roll   De 1950 à nos jours, rien n’aurait donc changé ? Le rock provoque toujours des grimaces dans le village et semble tout autant contestataire à l’ère de ‘Despacito et ‘Chocolat’. L’Angleterre du swinging London du film Blow up (1966) d’Antonioni n’est pas loin de cet effet (cette scène avec les YardbirdsJimmy Page, futur Led Zeppelin, casse sa guitare en plein concert!). Ty Segall entame de façon volontairement maladroite Stairway to Heaven pendant son concert au jardin Roussy, d’ailleurs. Il signale son travail sur la tradition en la coupant en morceaux et en faisant des collages de gimmicks, tout comme Mac de Marco le fait avec la chanson surf pop, de nos jours.

Après cette mise en situation drastique exécutée par Ty Segall, l’heure est venue pour le plat fort de la soirée : The Jesus and Mary Chain. Le groupe écossais, fondé par les frères Jim (chant) et William (guitare) Reid au début des années 80, offre un concert digne de sa réputation mythique. Accompagnés par un deuxième guitariste, un bassiste et un batteur (plus une choriste sur deux morceaux), ils ont interprété pas moins de 22 chansons, en parcourant l’ensemble de leur carrière et en présentant leur nouveau disque DAMAGE AND JOY (2017), le premier en vingt ans.

Le show est sobre et élégant. The Jesus and Mary Chain enchaine les morceaux comme des perles, sans parler et sans pause, à la façon des Pixies, leurs grands fans. Ils jouent d’ailleurs ‘Head on’, repris par le groupe de Frank Black.

Tout à coup, l’audience prend feu avec ‘Between Planets’ et le pogo est lancé. Car avant tout, les écossais sont un groupe qui surgit du post punk avec des ambitions commerciales, certes, d’où l’aspect mélodique de leur bruit, mais avec une énergie redoutable, qui provoquait des émeutes lors de leurs débuts anarchiques.

S’ensuivent des chansons bruyantes et déchainées, comme les sublimes ‘Reverence’ et ‘Blues from a gun’, et il est facile de comprendre pourquoi ils furent une influence fondamentale pour Trent Reznor à l’heure de fonder Nine Inch Nails. Curieusement, chez les frères Reid une force hypnotique proche de celle de The Velvet Underground transparaît, un appel à la révolution des sens.

Les drogues, la défonce, le sexe, les excès, la critique cynique au rock and roll et au star system, le besoin d’évasion, l’aliénation, la folie, l’amour, autant de thèmes explorés par Jim Reid ce samedi soir à la Nox Orae, sur un fond de surf rock distordu et en transe. Mention à part méritée pour le choix de chansons extraites de PSYCHOCANDY (1985), leur premier album devenu iconique et très influent (fondateur, même): ‘Just like honey’, ‘Some Candy talking, ‘The hardest walk’, ‘The living end’ et ‘Taste of Cindy’ : le son devient extase pure.

Les morceaux du dernier disque s’enchainent parfaitement avec le reste de leur carrière : ‘All things must pass, ‘Always sad’ ou ‘Mood rider’ s’installent avec aisance parmi le meilleur du groupe. La première visite de The Jesus and Mary Chain en 30 ans s’avèrent être une leçon magistrale, de révolte et de regrets, de montées et de descentes. Jamais un groupe de pop rock n’aura été aussi arty.

Les sens sont si stimulés et l’esprit va si loin que ce soir-là, nous croyons avoir vu Jésus… La Nox Orae mérite bien son deuxième sold out (après les BJM l’année dernière). Parmi l’audience, il est réconfortant d’apercevoir Daniel Fontana, qui dirige l’excellent club Bad Bonn à Düdingen et le formidable festival Kilbi, de qui la Nox est le petit cousin vaudois par affinité.

Après un concert comme celui des Jesus and Mary Chain, il est si dur de revenir sur terre… La prochaine édition du festival est désormais prévue pour le 31 août et le 1er septembre 2018. En guise de conclusion, ces paroles de ‘Head on’ : « Makes you want to feel, makes you want to try. Makes you want to blow the stars from the sky. I'm taking myself to the dirty part of town where all my troubles can't be found »…

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