Claude Nobs est décidemment un fin limier: non seulement il se permet le luxe de déplacer les médias de la Suisse entière sur son petit coin de paradis, à Caux, mais encore parvient-il à tomber sur le plus beau jour de l'année 2010 jusqu'ici. Bien sûr, ceci est un coup de chance me diront les sceptiques, mais osons une métaphore: et si, tout simplement ce soleil ne signifiait-il pas que cette 44ème édition est bénie des dieux?

Le Montreux Jazz annonce sa prog!

Claude Nobs est décidemment un fin limier: non seulement il se permet le luxe de déplacer les médias de la Suisse entière sur son petit coin de paradis, à Caux, mais encore parvient-il à tomber sur le plus beau jour de l’année 2010 jusqu’ici. Bien sûr, ceci est un coup de chance me diront les sceptiques, mais osons une métaphore: et si, tout simplement ce soleil ne signifiait-il pas que cette 44ème édition est bénie des dieux?

Il est midi et quelques minutes quand Claude Nobs et Mathieu Jaton, son bras droit, souhaitent la bienvenue à la trentaine de privilégiés pour une conférence de presse forcément spéciale: derrière nous, que Montreux et même Lausanne paraissent petit! Il faut faire une fois cette grimpette depuis le vieux Montreux pour comprendre aussi ce que signifie ces trois initiales – MJF – pour nombre de gloires de la musique. La situation de la demeure parentale du rédacteur susnommé en paraîtrait presque comme anecdotique: il y a une âme qui rôde entre les deux chalets du patron du Montreux Jazz. Situation forcément impressionante pour un simple rédacteur de webzine. Reste qu’on ne se laisse pas longtemps aller, tout prêts que nous sommes à rapidement dégainer notre verbe ascerbe, ou, plutôt à hausser les épaules devant quelques annonces amusantes de programmation. On ne se privera donc pas de rigoler poliment devant l’ouverture de cette 44ème édition, un peu spéciale car s’effectuant le jeudi: mesdames et messieurs, apôtres du rock’n’roll vif et rigoureux, j’annonce Phil Collins! D’accord, c’est facile, j’en conviens – ce d’autant plus que l’ex Genesis reprenda des titres de la Motown –  mais c’est aussi notre rôle de railler un petit peu. Au moins une fois. Car le reste de la programmation ne fait plus rire du tout et nous cloue sur notre chaise de jardin. Et nous sommes aussi de bonne foi.

Roxy Music: trop beau pour être vrai ?

Ainsi, pour véritablement ouvrir le feux, le vendredi 2 juillet, la présence renversante de Roxy Music sur la scène du Stravinsky. Formé par les deux Brian – Eno et Ferry – le quintette, réellement actif entre 1971 et 1975 s’est reformé par deux fois, la dernière en 2001. C’est donc une véritable surprise que de voir le groupe britannique investir une scène, qui plus est au bout du lac Léman – sans Brian Eno cependant. Ou comment aussi convier les jeunes fans de MGMT à une leçon d’histoire appliquée. Ceux-ci hésiteront cependant, ou malheureusement, avec la salle d’à-côté, le Miles, avec la venue des géniaux Beach House, le duo en forme du moment, auteur d’un troisième LP – TEEN DREAM – absoluement dingue. Les Américains ouvriront pour une autre paire pas des plus malhabiles elle-aussi: Air, pas sur les cîmes du succès mais tout de même solides. Si Lori Immi nous certifie que la soirée du lendemain au Miles sera du même tonneau -on veut bien la croire- on relèvera aussi la présence de Norah Jones avec Willy Mason au Stravinsky.

A notre grand bonheur, on pourra ainsi revoir le petit talent Chris Garneau en concert, soit le lendemain dans la petite salle. Avec, en point d’orgue, ce n’est plus une surprise tant le nom a filtré, Charlotte Gainsbourg, toute fraîchement auréolée par un succès critique légitime avec son deuxième LP, IRM, bâti par Monsieur Beck Hansen. Ca va jouer des coudes dans la salle polygonale. On notera aussi le retour des convaincants Vampire Weekend, qui feront facilement mieux que leur timide performance de 2008, et de l’étalon Julian Casablancas (même si Lori Immi est très ravie, nous on rit tout de même un peu). Pour sûr qu’il s’agira de la soirée à paillettes de cette édition. En attendant le véritable retour des Strokes? Un qui ne se pose pas tellement la question, c’est Billy Idol, l’increvable popeux, qui fêtera ses 55 années de la plus belle façon. Et faut profiter: d’autres que lui à un âge quasi similaire n’ont pas tenu la durée d’un retraité ordinaire (feu Malcom McLaren). Parmi les autres satisfactions, on notera aussi la présence de Regina Spektor, la folle fausse moscovite, partageant l’affiche du 7 juillet au Strav’ avec l’adepte des plaines arides Ben Harper, mais aussi de la belle Martina Topley Bird (photo) avec Massive Attack (pouvaient-ils les refuser?) le lendemain. Ou encore Tori Amos, qu’on ne présente plus, l’idole des jeunes gens nés dans les années 80 Nas, Vanessa Paradis aussi d’ailleurs, pardi, qu’on espère plus à son affaire que dans son rôle mièvre lors du film L’Arnacoeur; Gil Scot-Heron, Keith Jarrett, Buddy Guy, Herbie Hancock et Quincy Jones. Et le grand Elvis Costello (photo) qu’on oublie bien trop souvent de couvrir de fleurs tant l’homme sait se faire discret. Là aussi, cours d’histoire appliquée pour la génération Myspace. Pour terminer, on relèvera la présence de CocoRosie, Broken Bells, Sophie Hunger (Nb. qu’en est-il de sa création avec Peter Von Poehl et Patrick Watson? A suivre…) ainsi que des chiens fous Solange la Frange que seule la montagne du Grammont d’en face pourra arrêter. Pour sûr que les distingués Phoenix et le sage duo Yacht seront impressionnés dans les loges. On l’avait dit ici  que 2010 pourrait être leur année. A eux de jouer leur vie sur la scène du Miles Davis Hall le dernier vendredi (15 juillet) !

Cours d’histoire appliquée pour la génération Myspace

 

 

Forcément, on dira à l’institution du bout du lac que ce programme est trop léché pour véritablement étonner, qu’il y a beacoup – trop ? – de bis repetita, que tout ça manque de mordant. Certes, affirmation à moitié fausse mais vérifiable en partie à cause de la mégalomanie de certains agents ou groupes ainsi qu’à la peur panique des grands labels que de véritablement promouvoir les vrais bons artistes. Forcément, quand on met le paquet sur Lady Gaga ou Madonna, il ne reste plus beaucoup de “sous” pour la création. Beaucoup de festivals alignent les noms comme des colliers de fausses perles, entre Babyshambles et autres navrantes réjouissances sans atteindre le véritable but: la cohérence. Cohérence que Montreux peut largement exhiber. Même si cela manque de rock’n’roll véritable (Elvis Costello et puis?), la faute encore une fois à la tendance actuelle, on oserait cette remarque-ci du côté de la rédaction de Lords of Rock: les pistes explorées au niveau indé sont intéressantes (Beach House, Regina Spektor, Yacht), mais tout de même trop convenues. Quid de formations de la trempe de Grizzly Bear, Animal Collective ou encore du héros Richard Hawley ? Eh bien, pour cela, pour des choses totalement barrées, il y a la Kilbi Bad Bonn, à Düdingen, dans moins d’un mois, qui explore d’autres pistes et qui cultive sa différence. Car, ne faudrait-il pas le répéter, le Montreux Jazz n’a jamais renvendiqué un statut de défricheur en rock indé. Mais certains l’auraient cru et continuent à s’en convaincre. Enfin… rendez-vous du 2 au 17 juillet, où vous savez, arrêt de bus Parc Vernex.

PS: la programmation des scènes gratuites reste à être annoncée. C’est peut-être là que le rock se cachera. La question du jour: qui donc (la rédaction ne donnera aucun nom mais pourra seulement acquiescer) ?

” La bataille est vraiment acharnée “

Peu après le mot de bienvenue de la part des chefs de Montreux, nous avons eu la chance de pouvoir interviewer Lori Immi, programmatrice du Miles Davis Hall à l’enthousiasme débordant (et aux propos mordants, quand il le faut).

Lords of Rock: Félicitations tout d’abord pour cette belle programmation. Outre le métissage des vieux et nouveaux noms, on remarque un bon équilibre entre les deux salles (ndlr. Stravinsky Hall et Miles Davis Hall).

Lori Immi: c’est vrai que c’est un peu notre principe de base. On essaie toujours d’offrir un programme éclectique et de qualité. Et, dans la mesure du possible, d’attraper certains artistes qui ne sont jamais venus à Montreux, les mélanger avec de nouvelles choses. Il y a aussi une grande part de chance quand on fait un programme. On peut avoir toutes les meilleures idées du monde, si ça ne joue pas, ça ne joue pas. Ce n’était pas gagné pour cette année car c’est de plus en plus dur. La bataille est vraiment acharnée. Mais… (elle réfléchit) oui, on a eu de la chance, on a persévéré sur les bonnes choses. Comme disait Mathieu Jaton (ndlr. bras droit de Claude Nobs), si on reçoit les deux confirmations qui nous manquent aujourd’hui (ndlr. le samedi 3 juillet au MDH et le lundi 5 juillet au Stravinsky), ça sera encore mieux. Et ce ne sont pas les moindres des groupes.

Cette année plus que jamais ressort cette notion de festivals “gagnants” ou “perdants”. On a l’impression qu’il y a eu des laissés pour compte – cela, sans citer de noms. Comme vous le disiez, c’est de plus de en plus dur…

Lori Immi: oui, parce qu’il y a maintenant une telle densité de festivals, rien qu’en Suisse. Et puis après vous prenez sur le plan européen, parce qu’on a aussi à faire avec le reste de l’Europe pour les tournées évidemment. La densité sur notre période du début juillet est proprement hallucinante. Rien qu’en Suisse, c’est effrayant. Ce qui, au final, rend les choses assez compliquées, parce quand tu commences à construire un programme, tu choisis tes premières pistes au détriment d’autres, c’est un jonglage, il faut vraiment mener plusieures pistes en parallèle. Marquer les intérêts à temps, jongler sur tous les tableaux. C’est ça notre travail: cela prend tout notre temps, d’octobre à mi-avril, soit six bons mois où l’on ne fait que ça, Michaela Maiterth, Claude et moi-même. Après, tout peut être mis par terre en l’espace d’une semaine.

Il y a aussi cette fragilisation des labels, ainsi que des groupes plus fluctuants, qui arrivent par la grande porte, qu’on n’entend plus parler six mois après…

Lori Immi: oui, il y a ce facteur-là, c’est clair. Quand tu commences à monter la première version du programme, tu connais les volontés de tourner de la part de groupes. Les tournées sont longues, tu calcules donc pour qu’elles tombent sur ton festival. Les agents font aussi leur travail, regardent si c’est viable. Un premier effondrement de programme arrive en général en février. Ce n’est pas que l’on ait perdu les artistes, c’est que les tournées ne se font pas, tout simplement.

A propos de tournée justement, parlons de celle de Charlotte Gainsbourg. Le nom circulait depuis longtemps certes, mais c’est une sacrée bonne surprise que de la voir tourner pour la première fois de sa carrière!

Lori Immi: c’est incroyable d’avoir réussi à l’avoir. Typiquement, pour Charlotte, c’est une information que j’ai pu avoir très rapidement. Enfin, d’autres devaient sûrement le savoir, mais je me suis intéressé très tôt à son sujet en se disant clairement que ç’allait être un évènement. Dès le départ, on y croit, même si certains ont posé des points d’interrogations sur son hypothétique tournée et même sur la qualité du disque. Il faut rappeler que la programmation se fait avant que l’album ne sorte. Le risque est présent, c’est indéniable. Après, il faut croire en tes pistes. D’ailleurs, les premiers feedbacks de sa tournée américaine sont très bons, on se réjouit d’autant plus qu’elle est en exclusivité suisse. Elle sera très bien au Miles Davis Hall, c’est un endroit qui lui correspond bien.

Outre l’excellente première partie, Chris Garneau, qui colle d’ailleurs très bien, la question que tout le monde se pose: est-ce que Beck sera de la partie sur scène avec Charlotte (ndlr. Beck a écrit et composé la musique de l’album IRM) ?

Lori Immi: la question! En tout cas, sur les dates américaines, Beck n’est pas venu. Il a supervisé le groupe autour d’elle, l’équipe aussi. Je ne peux pas dire si ce sont des proches de Beck, mais certainement. Oui, c’est vraiment la question à laquelle personne ne peut répondre (rire).

On voit aussi la présence de groupes qui ont confirmé leur potentiel cette année: Beach House, Phoenix, Regina Spektor, le superduo Broken Bells. Mais il y a moins de groupes rock’n’roll dans le plus pur terme…

Lori Immi: il y a aussi CocoRosie qu’on est super contents d’avoir fait venir. Sans oublier Yacht aussi. Après, il y a aussi les artistes suisses qui sont bien présents. Oy, fantastique, la chanteuse du projet Filewile, en première partie de CocoRosie. Elle est dans un registre assez bricolo, audacieux. Très douée. Les Solange la Frange, qui se bonifient avec le temps. Le retour de Sophie Hunger aussi qui fait un carton. Il y aura sûrement aussi la venu d’un groupe de hip hop expérimental genevois qui viendra la soirée avec De La Soul. Comme disait Claude Nobs, on a décidé de concentrer nos soirées avec seulement deux groupes au lieu de trois. Mais j’ai demandé l’autorisation expresse de pouvoir ajouter des artistes suisses si cela se trouvait que ça collait bien. Parce qu’à part une artiste comme Sophie Hunger, où elle va vendre sa soirée elle-même, il fallait aussi maintenir une visibilité pour les artistes qui arrivent. On n’est pas dans notre logique de faire notre quota d’artistes suisses ou de les mettre sur une scène. Ce n’est pas notre philosophie du tout. On n’en prend certainement moins que d’autres festivals qui après revendiquent ce soutien. Quand on les prend, c’est pour leur donner une vraie belle opportunité que plutôt de les mettre sur des scènes à l’écart. (Elle réfléchit) Des scènes qui ressemblent en définitive plus à des ghettos. Est-ce que cela fait vraiment avancer les choses? C’est vraiment la question que je me pose… Je préfère en prendre moins et être super contente, tout comme eux d’ailleurs. Et ils ont une vraie belle exposition.

A propos de présence helvétique: cette dernière semble être plus en plus justifiée, ce même sur des scènes d’importances non négligeables.

Lori Immi: il y a aujourd’hui de vraies belles choses qui se font. Je ne fais cependant pas de différenciation de nationalité quand j’écoute de la musique. Je ne me fais pas ma session démos artistes suisses. N’étant pas non plus dans un poste de défricheur, je ne vais non plus pas écouter les groupes avant qu’ils ne sortent un EP. Ce n’est pas mon rôle à moi. Donc quand je m’y intéresse, c’est souvent qu’un groupe a déjà effectué un bon bout de chemin. C’est cependant clair qu’il y a de plus en plus d’artistes suisses, incontestablement.

Parlons encore d’une soirée à ne pas manquer, et qui m’a aussi fait sourir: c’est celle de Vampire Weekend avec l’idôle Julian Casablancas. Un petit clin d’oeil aussi à leur évolution respective, eux qui sont déjà passé par Montreux?

Lori Immi: une très belle soirée, en effet. Il faut dire en effet que Vampire Weekend étaient encore approximatifs il y a deux ans sur la scène du Miles Davis Hall. Ils se sont eux aussi bonifiés. Ils avaient très très envie de revenir à Montreux. Julian Casablancas lui aussi, lui qui était venu avec les Strokes en 2005. C’est une belle continuité pour nous, d’autant plus que j’aime beaucoup son album solo. Il faut par là même relever la présence de Jamie Liddel qui était venu il y a longtemps au Café en y faisant un carton. J’adore aussi son nouveau disque. Il revient dans une soirée hyper indé, quand on lit le programme: Janielle Lonae ainsi que Chromeo: un pur bonheur que de pouvoir faire des plateaux comme ceux-ci. D’arriver plutôt, car c’est une bataille, c’est jusqu’à la dernière minute (rire). Il n’y a pas que la volonté des artistes: si des meilleures offres arrivent derrière, ça peut faire pencher la balance, ce malgré la volonté de l’artiste. L’aspect économique rentre forcément en ligne de compte. Et c’est sûr que nous, avec nos petites capacités, on a souvent beaucoup de peine à s’aligner avec les open airs de Suisse qui peuvent eux offrir davantage. C’est vrai que cette année nous sommes particulièrement content du résultat final: on a tout de même réussi à avoir certains de ces artistes alors que certains de ces noms font normalement des très grosses scènes en Europe.

Alors qu’on dit aussi que c’est la crise…

Lori Immi: oui, mais en même temps où elle est, cette crise? On a de la peine à conceptualiser la chose.

J’ai entendu des sommes astronomiques pour certains groupes qui ne viennent pas en Suisse du tout…

Lori Immi: ça ne vaut parfois pas la peine. Il ne faut plus chercher de commune mesure entre la notoriété du groupe et le cachet qu’il va prendre ou ce qu’il va ramener en spectateurs. Passé un certain stade, on ne peut plus parler. Et ça n’a plus aucune commune mesure avec ce que tu fais pendant le restant de l’année dans les clubs. Tu peux multiplier par quatre, voire par cinq ou dix fois le cachet d’un groupe en l’espace de six mois. J’espère juste avoir cette confirmation du 3 juillet, ça serait la cerise sur le gâteau (rire).

Le site officiel du Montreux Jazz Festival

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