The Swans au Fri-Son, dernier concert

La pluie torrentielle et la lune noire offraient le cadre parfait pour une nouvelle visite des Swans. Lors de leur dernier passage à Fri-Son en 2014, le scénario était le même: un soir sombre de tempête. Ce concert-là avait été particulièrement prenant. L’audience était possédée et complètement hypnotisée par le sextuor américain, en pleine tournée de leur album TO BE KIND (2014, Young God Records). Les cygnes étaient déchaînés…

Car il s’agit bien ici d’un groupe devenu culte, d’un combo de rock expérimental formé par Michael Gira (voix, guitare, composition) à New York en 1982 et extinct en 1997, pour mieux renaître de ses cendres avec une nouvelle formation en 2010. Ce retour était un nouveau début, avec une succession de quatre albums composés depuis et des tournées régulières, dont de fréquents arrêts en Suisse.

Les Docks, le Dashstock, l’Usine, le RKC, l’Amalgame et le Fri-Son sont toutes des salles helvétiques ayant accueilli The Swans ces dernières années, avec le panneau-annonce devenu classique: “concert qui peut atteindre les cent décibels, boules quiès disponibles au bar”. Car les américains proposent un assaut sonore massif, ce qui leur a valu les applaudissements de la critique et du public.

Le spectacle en live est impressionnant et devient à chaque fois une expérience unique. C’était le cas cette dernière fois à Fri-Son. Tout était démesuré ce soir-là. Le morceau d’ouverture durait au moins quarante-cinq minutes, d’où il est normal de perdre tout repère, toute notion de temps et d’espace, lesquels se dilatent à l’infini. La longue introduction dérangeante et mystérieuse qui allait aboutir sur une partie où tous les instruments (les deux guitares électriques, la pedal steel, les claviers, la basse et la batterie) frappent en même temps avec une rythmique consonante et brutale.

Pourtant, les sons se posent petit à petit et laissent la conscience de l’auditeur se poser et entrer calmement dans le jeu, absorbée par un univers sonique qui se déploie. Puis les différents sons s’organisent et se mettent ensemble, après avoir été épars, ils se concentrent. Les nuages de la tempête se rassemblent pour mieux se déverser sur l’audience, de façon progressive et furieuse. Le cygne se réveille, le regard métallique et menaçant, avant de frapper sans pitié son audience et de libérer tous ses démons.

Le volume atteint des niveaux colossaux. Le cygne rugit avec une force inouïe et primaire, de façon dissonante et létale. Ce morceau, ‘The Knot’, n’apparaît dans aucun des albums studio qui composent la riche discographie de Swans, mais sur un double CD live sorti en mai de cette année, DÉLIQUESCENCE (2017, Young God). Celui-ci sera le modèle de la tournée finale, les compositions se répétant avec la même séquence chaque soir.

Le cygne est une créature belle et majestueuse, mais douée d’un très mauvais caractère. Voilà la définition que Gira donne au nom du groupe. Nous pourrions rajouter “glaciale” à  cette image, vu que c’est un animal à l’origine en provenance des lacs orientaux et septentrionaux de la Russie, qui gelaient en hiver. Cette évocation du froid et de l’introspection qu’il provoque se manifeste dans les interludes flottants de ‘The Knot’, les passages où tout se calme sous des nappes cristallines de clavier et des nuages de feed-back à la guitare, pendant de longs moments, avant d’exploser à nouveau et que l’ouragan de neige reprenne.

Le reste du concert inclut cinq autres morceaux, dont deux de longue durée, soit plus de trente minutes chacun, ‘Cloud of Unknowing’ et ‘The Glowing Man’, en plus d'un inédit (The Man Who Refused to be Unhappy) , de ‘Screen shot’ et de ‘Cloud of Forgetting’. La musique de Swans plonge le public dans une transe perturbante qui suit la logique du rêve. Les “mélodies” se baladent à travers différentes obsessions et traumas qui subissent le traitement de la catharsis: ils sont remis sur scène pour mieux les métaboliser et ainsi les sublimer. Les compositions sont complexes et profonde. Le spectacle, savamment construit, devient un rite avec Michael Gira en guise de chaman mystique guidant la magie avec ses gestes et ses incantations possédées.

Les Swans maîtrisent la tension comme personne et chaque note est prévue comme dans une symphonie. À un moment, Christoph Hahn se trompe au Pedal Steel, recevant un regard foudroyant de Gira, lequel est rendu en lui tirant la langue. En sept ans, la formation actuelle du groupe est devenue une machine efficace, un mécanisme industriel. Phil Puleo propose un batterie solide, tandis que Christopher Pravdica joue sa basse avec une force extrême, parfois au pouce. Norman Westberg, membre depuis 1983 et le plus ancien collaborateur de Gira, offre des lignes de guitare tranchantes et lapidaires, accompagné du claviériste Paul Wallfisch, dernier arrivé dans le bateau en remplacement du multi-instrumentiste Thor Harris.

Ce soir-là au Fri-Son, cette formation dit adieu à la Suisse avec une énergie brute et généreuse, en montrant sa dernière création, ce spectacle peaufiné avec le modèle de DÉLIQUESCENCE. La salle est familière au groupe, qui y est passé régulièrement depuis ses débuts. Les liens étroits avec Fribourg apparaissent après le rappel lorsque Gira échange quelques mots avec Franz Treichler. Le chanteur de The Young Gods s’est en effet inspiré de Swans pour nommer son projet, il y a plus de trente ans.

Indescriptible, unique, belle et féroce, la musique de Swans fait écho à la grandeur des cygnes, en élevant l’esprit grâce à un impact physique et un univers surréel semblable à celui du premier David Lynch, à l’opposé des caresses douces de la bossa nova. Les new-yorkais prennent leur source dans l’eau frigorifiée de lacs du nord et dans la No Wave de leur ville, pour mélanger différents styles qui vont du post-rock, au jazz déjanté, au post punk et à l’industriel, mais aucune description n’est juste avec eux.

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