Slowdive à la Nox Orae

Comment flotter dans l’espace et s’immerger dans l’eau. La désintégration du soi en dix milliards de particules soniques. La dissolution de toute conscience dans la profondeur… Slowdive va au-delà de la note, vers un rayonnement astral de vibrations et d’oscillations. Lors de son passage au festival Nox Orae, à la Tour-de-Peilz, le quintette anglais a hypnotisé le public avec son alchimie du son. 

Le jardin Roussy au bord du lac Léman offrait un cadre paradisiaque pour apprécier la musique de Slowdive après une journée ensoleillée. Les locaux de Service Fun avaient ouvert le festival avec leur mélange énergique de rock, jazz et afro-beat, par moments drôle, voire absurde mais toujours prenant. Leurs chansons rappelaient parfois Tortoise dans les constructions rythmiques et mélodiques.

Ensuite, Foxygen avait déployé tout son glam, avec une section de cuivres, une choriste et des claviers psychédéliques, en jouant par moments au Ziggy Stardust de Bowie ou en empruntant le groove à la soul de Curtis Mayfield. L’approche des américains était légère mais un peu maniérée. Chéris par la presse spécialisée de l’autre côté de l’océan, ils remplissent la case hypeet indie pop présente à chaque édition de la Nox Orae (par où sont passés Fanfarlo, Crocodiles et bien d’autres). Le Roussy était devenu Brooklyn le temps d’une heure et demie.

 

Pyrotechnie astrale

 

La nuit s’installe enfin et aussi Slowdive. Surprise, cinq minutes avant leur spectacle, des feux d’artifice éclatent sur le lac. Ceux-ci durent longtemps, en offrant une introduction parfaite à une musique qui se veut elle-même être une explosion lumineuse. L’audience observe le jeu pyrotechnique avec émerveillement. Paradoxe : il s’agit d’un mariage dans le luxueux Hôtel du Lac, d’un imprévu surréaliste, d’une variable inattendue dans l’univers des possibles… 

 

Dès le début du concert de Slowdive avec le tout récent ‘Slomo’ (qui ouvre leur nouvel album, SLOWDIVE, paru cette année), les guitares se répondent comme des cloches et se répandent en échos à l’infini. Puis la basse, la batterie et les claviers s’y ajoutent jusqu’à former un corps stellaire et rayonnant.

Les voix de Rachel Goswell et Neil Halstead arrivent finalement en se superposant et en jouant entre elles. « Donne-moi ton cœur… », chantent-ils… Oui. N’oublions pas que cela est de la manipulation et que Slowdive n’attend pas autre chose du public que de s’abandonner à cette supercherie magique, aussi suave et réconfortante soit-elle. Tel est le pouvoir de la séduction et du charme des anglais, qui enveloppent leur audience avec le doux manteau en velours de la nuit.  

 

Même la rencontre la plus compliquée qui puisse avoir eu lieu avant le show est sublimée, même l’esprit, dont les nerfs s’entremêlent dans la complexité des relations sans savoir comment réagir, se libère grâce aux vagues sonores et expansives du quintette anglais. Si seulement le temps s’arrêtait dans la sensation extatique provoquée par chaque note et chaque pulsation : la question baroque de capturer un instant éternellement… le frémissement du beau.

 

La voix de Rachel Goswell s’élève en tons aigus vers la fin de ‘Slomo’ et la peau réagit, extasiée. Selon les scientifiques, les frissons de plaisir provoqués par la musique, soit l’expérience esthétique du sublime, se rapprochent physiologiquement de ceux de l’orgasme, avec des processus électriques et neurochimiques très similaires déclenchés par l’écoute (ce qui arrive lorsque « les poils se dressent »).

Avec ‘Slowdive’ (la chanson), les anglais creusent un peu plus dans la conscience avec une dynamique plus intense et des guitares qui rugissent comme l’océan. Le public décolle finalement dans une transe emportée. Pour les neurosciences, l’expérience spirituelle stimule les mêmes parties que le LSD dans le cerveau. L’élévation en est semblable. Le quintette possède certainement cette qualité narcotique quasi religieuse.

 

Voilà le mystère, le rite, l’absolu divisé en fragments miroité par les ondes du son pour être reconstitué en fractales. Celui-ci éclate lors de l’ouragan final de ‘Catch the breeze’, avec une fraicheur insolite pour ses 25 ans. Slowdive laisse certains morceaux se construire lentement, pour enfin prendre des envols inouïs et hypnotiques, en allant jusqu’au bout de la passion effrénée, ce sera le cas également pour ‘When the sun hits’ et ‘Golden hair’, leur reprise de Syd Barrett, en clôture glorieuse de leur concert au Roussy.

 

Pourtant, d’autres chansons jouées par Slowdive ce soir-là se basent plutôt sur des modèles en spirales et en cercles, tel que ‘Souvlaki Space Station’ et ‘Crazy for you, influencées par des styles électroniques comme le dub et la house, avec un groove soutenu qui fait danser l’audience. Tout n’est pas que légèreté du vent des guitares éthérées : la basse propose une structure musculaire (un peu comme dans The Cure) tandis que la batterie en dessine le squelette, en posant ainsi un corps à cette aura lumineuse.

 

Dans l’enceinte du festival, le public ondule comme des algues au fond de l’océan, emportées par le courant des mélodies sous-marines de Slowdive, tel que ‘Machine gun’, ‘Star Roving’, ‘Sugar for the pill’ et ‘Alison’, autant de rêves-éveillés ficelés savamment par le quintette. Pour les fans d’il y a 20 ans, c’est un rêve accompli : un groupe totalement ignoré à l’époque en tête d’affiche d’un festival ‘à la maison’, au bord du lac, avec une audience qui suit, dont toute une nouvelle génération qui les respecte et les chérit, en plus d’un son techniquement impeccable. Parfois, mais seulement parfois, il y a des nuits touchées par la grâce… 

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