mercredi , 4 décembre 2024

Radiohead

 

Radiohead à St-Triphon, c’était un bon concert. Plein la vue, plein les oreilles. Un ligth-show magnifique, de l’énergie avec un Thom Yorke nettement moins dépressif que d’ordinaire bien qu’il ne faut toujours pas espérer un minimum de communication avec le public, les sons de guitare si originaux du groupe, les rythmiques incroyables aux visages multiples, deux batteries pour assurer l’ambiance live, les ordinateurs désormais irremplaçables, des bons morceaux qui s’enchaînent comme "15 Step", "There There",  "Idioteque", "Everything in its right place" en clôture… On pourrait ne retenir que cela car finalement on a passé une bonne soirée. Mais non, car la musique – d’autant plus si elle se dit engagée comme celle de Radiohead – ça ne devrait pas être cela, car en voyant la chose de manière un peu plus large, Radiohead à St-Triphon c’était surtout un lieu où il n’a pas fait très bon vivre avant et après le concert, un lieu pas très convivial et un lieu du paradoxe placé sous le signe de l’écologie…

Radiohead collabore avec Greenpeace pour « sauver l’Arctique » (« Save The Arctic » campaign). En entrant dans la carrière, on rencontre vite des « militants » de Greenpeace  qui distribuent une pétition pour que l’Arctique devienne une zone naturelle préservée. Les signatures iront aux Nations Unies pour montrer aux fonctionnaires de l’Organisation à quel point les citoyens suisses et du monde veulent du changement pour les générations futures et les ours polaires et les noms desdits signataires « seront enfouis dans la glace de l’Arctique dans une capsule indestructible ». J’aime l’idée d’être un « Arctic Defender » et que mon nom restera là indéfiniment. L’écologie c’est bon pour l’ego… !

 

 

Bon pour en finir avec l’hypocrisie écologique, on pourrait dire que Radiohead à St-Triphon c’était surtout notre modèle de société en caricature : des milliers de gens qui viennent en bagnole des quatre coins de la Suisse et donc le chaos automobile pour arriver, se parquer et plus tard repartir ; des stands d’une bouffe agro-industrielle horrible (les pâtes au pesto étaient bien les pires que j’ai connu) ; des files d’attente interminables pour pouvoir acheter des tickets de rationnement puis obtenir cette bouffe et une bière ; la démesure y compris sur scène avec quelque dix-huit grands écrans au-dessus des musiciens ; l’absence de dialogue entre les gens qui sont sur scène (les artistes à l’image des politiciens) et la foule (festivaliers à l’image des citoyens) ; l’absence de convivialité sur le site et aux stands de « nourriture » tenus par de bons travailleurs qui ne dérogent absolument pas aux instructions claires et précises qu’ils ont reçues d’en haut ; des différences de classes entre ceux qui n’ont pu débourser « que » 109 balles et ceux qui ont payé 250 francs. Je ne sais pas exactement ce que l’ami Thom a en tête lorsque dans "Idioteque" il chante « Who’s in bunker, who’s in bunker ? / Women and children first / Women and children first », mais Radiohead à St-Triphon ça a quelque chose de la vie en bunker, ça c’est sûr. Radiohead c’est une scène et un show incroyable mais démesuré. C’est aussi un groupe qui, dans les semaines à venir, se déplacera dans toute l’Europe puis en Australie et en Nouvelle-Zélande et certainement pas en vélo. Mais il faut absolument protéger l’Arctique des horribles Shell et consort ! Ah oui, Radiohead à St-Triphon c’est évidemment le business en veux-tu en voilà : billets très chers, vente de T-shirts, vente de bons que les gens n’utiliseront pas complètement, etc. "Venez, amusez-vous, crachez votre pognon, retournez demain à votre travail que vous n’aimez pas pour en regagner et s.v.p. sauvez l’Arctique !"

 

 

Ces dernières années j’ai compris en participant à de petites entreprises anarchistes et paysannes que l’écologie commence (ou commencera) là où il y a de la petitesse conviviale, là où il y a du lien et là où il y a de l’autonomie, tout ce qui pour l’instant fait défaut dans notre société et aux shows de Radiohead. A St-Triphon c’était la démesure, l’absence de lien entre un chanteur (car Radiohead c’est avant tout Thom Yorke !) qui verra durant les semaines à venir des millions de fans agglomérés en foules denses et anonymes, la dépendance à un système organisé de manière absurde pour boire et manger. L’écologie commence là où, au sein de petits groupes non-hiérarchisés, des personnes s’organisent ensembles au travers du lien, du dialogue, de la responsabilité, de la création auto-poïétique et du travail et de manière conviviale pour satisfaire des besoins réels avec des outils simples et ainsi réduire leur dépendance à un système dont les desseins s’opposent clairement au bien-être de chacun y compris des ours polaires.

 

 

Radiohead c’est un peu l’opposé du Mahatma Gandhi qui, en disant « Be the change you want to see in the world », invitait chacun – et évidemment lui-même – à commencer par soi et surtout par l’intérieur de soi. Radiohead c’est un peu trop d’ego et de démesure. Après ça j’ai bien envie d’un tout petit concert où tu paierais moins de vingt balles ton entrée, où tu peux avoir des bières en deux minutes, écouter un bon groupe composé de musiciens simples et sympas et ne pas avoir à signer des pétitions à la con. C’est encore possible ? Bon, Radiohead c’est quand même le groupe aux multiples albums incroyables, notamment KID A, qu’on écoutera encore longtemps. Mais bon, soyons honnête, le jour où les choses changeront un peu pour les ours polaires et les autres habitants de l’Arctique, on sera forcément revenus à quelque chose de plus raisonnable en terme de concert, merde.

Sauvons l’Arctique, mais entre nous, sans Greenpeace, sans les Nations Unies et sans Radiohead.

 

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4 comments

  1. Voilà un point de vue intéressant qui n’avait pas encore été soulevé par les autres médiats, trop occupés a vanter la perfection du show et à démonter l’organisation. Merci pour cette opinion bien tranchée !

  2. Joli article qui dit bien les choses comme ressenties sur place! Bravo.

  3. A peu de chose près, je m’étais aussi fait cette réflexion sur place pendant le concert… Merci pour votre article !

  4. Vous n’allez peut-être pas me croire mais c’était moi ( entre autres) l’ours polaire de Greenpeace.
    Mais même en tant que militante pour Greenpeace,( j’ai mes raisons personnelles et chacun a le droit d’avoir les siennes) j’ai encore un sens de l’esprit critique et je trouve votre article très bien construit, très perspicace et parfaitement objectif sur le déroulement de ce concert.
    Sincèrement, je me suis demandée ce que moi, pauvre ours blanc, je faisais au milieu de ce monde et si c’était vraiment là que j’allais trouver mon salut…

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