dimanche , 6 octobre 2024

Nox Orae

Three Dots ouvre le festival avec un rock en transe empoisonné par le blues et par une folk des plus primitives. Ce groupe helvético-belge distille une énergie principalement féminine, grâce à la présence de la compositrice Nadia Daou (voix, guitare), de la bassiste Juliette Meunier et de la batteuse Melissa Morales. Ces deux dernières jouent dans le groupe bruxellois de rock psyché Moaning Cities, qui organise le Stellar Swamp / Bruxelles Psych Festival.

Si nous devions chercher des référents, Bob Dylan et Spacemen 3 seraient à considérer. Or, la musique de Three Dots va bien plus loin dans sa recherche sonique. Il y a une force et une intensité qui rendent ce groupe unique. Cette promesse sera sans doute une des révélations de cette édition du festival Nox Orae, une surprise pour un public qui ne la connaît pas encore.

Par la suite, la soirée du vendredi continue avec les très recommandables Fuzz. Ce groupe nord-américain fait honneur à son nom et nourrit sa musique de pédales de distorsion fuzz et de la reverb, avec un résultat très sauvage et garage. Leur rock vire rapidement vers une lourdeur acide. Celui-ci est un des projets du songwriter Ty Segall, un power trio complété par Charles Moothart et Roland Cosio.

La nuit se prolonge vers des horizons chaque fois plus troubles et abstraits, avec l’arrivée de The Soft Moon. Le projet de Luis Vasquez, basé à Brooklyn, offre une vision sombre, industrielle et obsédante de la new wave. Le choix du son privilégie des couches dérangeantes et lourdes de synthétiseurs, surmontées par une voix angoissante et perdue, ainsi que soutenues par une basse dense et des rythmes de batterie métalliques et froids.

The Soft Moon reprend l’héritage de Joy Division ou du PORNOGRAPHY (1982) de The Cure, virant vers le noir tout en se rapprochant parfois de l’industriel le plus décharné.

La soirée finit avec Omar Souleyman. Ce chanteur syrien mélange la musique traditionnelle et festive de ses origines avec des synthétiseurs. Son dernier album a été produit par Kieran Hebden (Four tet) De la sorte, il se crée un métissage tribal et à la fois moderne, dépaysant toute conception de la temporalité (l’époque) et de l’espace (l’appartenance culturelle) chez l’audience. Les tons chaleureux des chansons terminent par imprégner l’atmosphère avec une odeur à feu de bois, mélange d’agneau, de vin et de joie.

Le samedi 29 août, c’est le tour aux veveysans de Fuck Love d’ouvrir les feux avec leur indie pop chargée d’allusions autant britanniques (Blur) que nord-américaines (Pavement).

Les chansons de ces exposants du rock local (La Tour-de-Peilz se situe aux alentours de Vevey) sont à la fois légères et nostalgiques, avec un son très espacé et chargé de reverb. Les guitares sont imbibées de tonalités surf qui rappellent parfois les Pixies ou plutôt The Breeders, le projet de Kim Deal aux allures hawaïennes. Fuck Love est formé par des musiciens qui ont joué dans d’autres groupes de la région, notamment The Awkwards et The Mondrians.

La musique de Vaadat Charigim, le groupe suivant, semble venir de Brooklyn plutôt que de leur ville d’origine, Tel Aviv. La contingence politique de leur pays les rapproche également de certains groupes des années 1980 en Angleterre, tel que My Bloody Valentine dans un rapport qui va au-delà du son. Certes, celui-ci est tout aussi expansif et bruyant que celui des irlandais. Mais l’époque Thatcher à laquelle ceux-là appartenaient peut également être mise en lien avec l’état actuel d’Israël au niveau de la radicalité de la répression et d’un capitalisme hyper-développé.

Une certaine genèse de la shoegaze a été repérée comme une réponse politique : une quête de la sonorité et de l’abstraction grâce à un volume intense et perçant. C’est-à-dire, abasourdir l’esprit à coups de décibels et le libérer en le faisant « rêver » de façon hypnotique. Les Vaadat Charigim s’inscrivent dans cette perspective-là : l’art comme un geste émancipateur face à des temps troubles.   

Les vétérans de Deerhoof sont chargés de continuer la soirée du samedi, en guise d’une des têtes d’affiche et des groupes les plus populaires de cette édition 2015 de la Nox Orae. Une des particularités de ce groupe est celle d’intégrer des rythmes innovants à la batterie avec des guitares funky ou delta blues.

Ces nord-américains transpercent les frontières entre le rock et l’électronique avec un esprit ludique et curieux, toujours avide de nouvelles combinaisons tous azimuts. En activité depuis plus de vingt ans, Deerhoof a anticipé la voie à des groupes comme ceux du label newyorkais DFA ou tel que !!! et Bloc Party.

Les suédois de Goat closent en grandeur la sixième édition de la Nox Orae. Celle-ci est une carte sûre du festival, il s’agit d’un des groupes les plus importantes de la nouvelle vague de musique psychédélique qui a éclot il y a quelques années. Leurs chansons font recours autant au rock acide et progressif des années 1970 comme aux musiques tribales et du monde.

Un concert de Goat est à la fois une expérience ésotérique et un spectacle festif. Des danseuses en costumes et masques animent la scène. Le rock un poil berbère et bédouin des suédois font écho à une musique à la hausse dans les milieux rock et psychédéliques. Imaginons Tinariwen sous narcotiques et avec des murs de wah wah à la guitare.  

Cette version 2015 de la Nox Orae promet : il y a peu de groupes avec un choix très ciblé qui traverse plusieurs univers musicaux. Cela résulte en une affiche exemplaire et sans pertes.

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