Le chanteur Willy DeVille est mort le 7 août dernier, des suites d’une hépatite C et d’un cancer du pancréas. Notre érudit Crocodile Duffy lui rend hommage avec une spéciale “Déchronologie”.
Les 99% du public qui ne connaissent de lui que sa drôle de reprise mariachi de “Hey Joe “l’ignorent sans doute, mais Willy DeVille, décédé au début du mois d’août dans une relative indifférence, était un grand de l’histoire du rock. Et cela remontait à bien avant “Hey Joe”, à l’époque où Willy était le leader/chanteur/compositeur/guitariste du groupe Mink DeVille. Pourtant, aujourd’hui encore, l’histoire officielle du rock, celle que l’on nous raconte dans les livres, les magazines et les sites Internet, se méprend totalement à propos de cet infiniment talentueux quatuor américain. Mink DeVille ayant débuté sa carrière au milieu des années 70 dans le mythique club new yorkais le CBGB en même temps que les Ramones, Blondie, Television ou le Patti Smith Group, on n’hésite en effet pas, encore aujourd’hui, à ranger le groupe dans la même catégorie que toutes ces formations estampillées punk/post punk/new wave. Pourtant une seule écoute de n’importe lequel des six albums que sortira Mink DeVille entre 1977 et 1985 suffit à se rendre compte que Willy et ses boys n’avaient strictement rien à voir avec le punk et ses avatars.
En fait, les quatre Mink DeVille étaient des ‘classicistes’. Ils vénéraient par-dessus tout la musique des années 50 (rock’n’roll, blues, rythm’n’blues, gospel, soul, doo-wop…) et au milieu de leurs propres morceaux très influencés par tous ces styles, ils n’hésitaient jamais à reprendre des vieux classiques de Ben E.King ou James Brown (ce qui, nous l’imaginons, devait produire un drôle d’effet sur le cerveau de tous les jeunes punks défoncés au speed qui venaient au CBGB écouter les Ramones…). Et pour ajouter encore un peu de piment à l’affaire, ils jouaient tout cela dans un esprit de métissage culturel et musical permanent (avec leurs choristes noirs, à peu près toutes les couleurs de peau étaient représentées lorsque Mink DeVille montait sur scène à l’époque).
Mink DeVille avait débuté sa carrière au milieu des années 70 dans le mythique club new yorkais le CBGB mais n’avait strictement rien à voir avec le punk et ses avatars.
C’est donc en 1977 que Mink DeVille enregistre et sort son premier album intitulé CABRETTA. Le coup de maître de la maison de disques du groupe aura été de parvenir à installer Jack Nitzsche dans le siège du producteur. Déjà vieux loup de mer à l’époque, Jack Nitzsche était entre autres, dans les années 60, l’un des plus célèbres collaborateurs de Phil Spector et des Rolling Stones. Nitzsche a assuré au groupe un son pur, simple, beau et intemporel, mettant parfaitement en valeur les compositions de Willy DeVille et les diverses reprises.
CABRETTA s’ouvre avec un son électrique qui monte sur “Venus of Avenue D”. Willy chante doucement sur les couplets, puis s’énerve franchement sur les refrains où il est rejoint par une seconde guitare et un piano. L’intervention d’un saxophone sensuel sur la fin vient nous rappeler que Mink DeVille n’est vraiment pas un groupe de rock comme les autres. Sur “Little Girl”, très jolie reprise d’une ballade des Crystals dans les années 60, un vibraphone vient confirmer que non, définitivement, on n’est pas chez les Ramones. “One Way Street” est un rock très sec chanté/hurlé par Willy et très efficacement mis en valeur par les enjolivures d’une deuxième guitare. “Mixed Up Shook Up Girl” est une ballade très ‘Rolling Stones’ avec piano, chœurs soul, percussions discrètes, le tout porté par la voix de chat écorché de Willy. La première face (oui, c’est assez difficile à expliquer aux jeunes mais à l’époque les disques avaient des faces…) s’achève avec “Gunslinger” , sûrement le meilleur rock du disque, avec l’appui d’une deuxième guitare explosive sur le refrain.
La seconde face s’ouvre avec “Can’t Do Without It”, pur morceau de soul romantique et sublime, avec chœurs, saxo et refrain mirifique. Ecrit par l’excellent Moon Martin (autre grand oublié de l’histoire du rock), “Cadillac Walk” est un boogie sobre et minimaliste, ‘T-Rexien’ en diable et assez irrésistible. “Spanish Stroll”, le single extrait de l’album, est un rock cool avec percussions latines et chœurs soul, des couplets qui font plus qu’évoquer Lou Reed et une petite partie parlée en espagnol par le bassiste du groupe. Sur “She’s so Tough”, un beau mid-tempo, Willy parle sur les couplets, chante sur les refrains, et il y a une très belle partie de guitare dans le final du morceau. Enfin pour conclure l’album, voici une autre somptueuse ballade superbement écrite et interprétée, “Party Girls”.
On ne le dira jamais assez, l’un des principaux défauts de la plupart des disques de rock actuels est d’être infiniment trop longs et donc, quasi obligatoirement, complétés avec un certain nombre de morceaux de remplissage. Comme la plupart des grands classiques des années 60-70, CABRETTA est expédié en 35 minutes chrono. Les dix morceaux sont courts, intenses, il n’y a pas de place pour la moindre petite baisse de régime, c’est ce qui en fait un tout cohérent et irrésistible que l’on peut écouter en boucle encore et encore sans jamais se lasser (puisqu’il n’y a pas la moindre chanson faible). Le groupe est d’une classe, d’une sobriété et d’une pertinence exemplaires ; Willy est un excellent chanteur, à l’aise dans tous les registres.
Comme la plupart des grands classiques des années 60-70, Cabretta est expédié en 35 minutes chrono
Un an plus tard, Mink DeVille sortira RETURN TO MAGENTA qui est le jumeau quasi parfait (peut-être juste un chouïa moins intense) de CABRETTA, avant que Willy ne vire la moitié de ses musiciens et ne s’envole pour Paris au tout début des années 80 pour enregistrer le somptueux Le CHAT BLEU. Sur l’album suivant, COUP DE GRACE, Mink DeVille (où ne subsiste désormais plus que Willy de la formation originelle) se transforme en groupe de rock classique avec un gros son très américain à la Bruce Springsteen. Mais ceci est déjà une autre histoire…