Interview - ou plutôt longue conversation passionnante entre deux érudits de musique - avec l'artiste LaLa et notre rédacteur Nicolas Metzler. Vrooom!

LaLa

Lords of Rock: Lala, pourrais-tu nous parler succinctement de ton parcours musical et artistique?
LaLa: Je suis 100% autodidacte. Je n’ai jamais réussi à apprendre vraiment à lire la musique, je ne sais pas pourquoi, un truc de gaucher contrarié. Quand jétais petit, je rêvais de jouer de l’accordéon, mais on m’a mis au piano. Total, je ne joue ni de l’un ni de l’autre. Quand j’ai eu mon bac (grâce à “L’Etranger” de Camus!)  ma mère m’a mis au pied du mur:  choisir entre la fac ou “la vie de bohème”, ce qui pour elle sous-entendait “tout ce dont je ne veux pas entendre parler”(rires) ! J’ai réfléchi cinq secondes… et j’ai décidé de partir et de me débrouiller seul. Ca été la première décision importante de ma vie, et je ne l’ai jamais regrettée, même s’il m’est arrivé de crever de faim comme un poète maudit!
J’ai réalisé très tôt et confusément que je ne pouvais qu’être artiste, mais je n’ai compris que bien plus tard ce que cela voulait dire. C’est à Paris que j’ai rencontré les gens qui m’ont soutenu et guidé, et grâce auxquels j’en suis venu à faire de la scène, etc….

Ton attachement à la tradition de la chanson française, de Charles Trenet, en passant par Gainsbourg et jusqu’à Polnareff, semble évident et transpire dans presque chacune de tes chansons (la reprise du “Love me Please” de Polnareff est très éloquente à ce sujet). Quels sont les artistes qui t’ont le plus inspiré, tes “modèles” ou “tes figures tutélaires”?
Quand j’étais ado, j’écrivais des poèmes assez névrosés, très marqués par le surréalisme.  A 17 ans, au lycée, j’ai monté un groupe, disons “cabaret décadent “, qui s’appelait “Trottoir”, un clin d’oeil au Velvet Underground (NdR : “Walk on the Wild side”). J’étais très androgyne, et lorsque j’ai entendu l’album Hunky Dory de David Bowie, je peux dire que ma vie a changé.  Je n’avais jamais entendu une voix pareille! Bowie a été LA révélation, comme un miroir ou une fantasmagorie liée à l’ambiguïté, à des choses que je ressentais sans pouvoir les exprimer autrement que dans mes poèmes torturés –  que je faisais d’ailleurs lire à mes copains dans ma chambre peinte en « bleu nuit »  (rires) ! J’aimais des choses très différentes, alors que tous mes copains écoutaient des trucs « baba-cool »,  comme Pink Floyd ou Genesis, du rock progressif ou de l’acid-rock style Grateful Dead – tous ces groupes chiants pour fumeurs de pétards –  J’écoutais quant à moi aussi bien Led Zeppelin, Can, Neil Young, Janis Joplin, The Doors, Patti Smith que Michel Polnareff, Dick Annegarn, T. Rex ou les New York Dolls, Serge Gainsbourg, Françoise Hardy, Charles Trenet ou Brigitte Fontaine.
En fait, j’écoutais tout ce qui me tombait sous la main : du blues, du jazz, de la pop – avant que le punk arrive comme une bombe. A l’époque, dans les années 70, obtenir un album (un vinyle 33 tours!) était toute une affaire – pas comme aujourd’hui, où tout le monde est blasé et consommateur. Pour moi, mes amis, ou mon frère Didier (NdR : Didier Lestrade, journaliste et écrivain), la musique était un moyen de communication essentiel. Le gros problème aujourd’hui, c’est cette espèce d’indifférence saturée, alors que – paradoxalement – il  n’ a jamais été aussi facile de communiquer ! « Love Me Please » (NdR : chanson de Michel Polnareff) est une de mes chansons cultes, alors je l’ai reprise – forcément. Mais pour moi, la plus belle chanson de Polnareff, et sans aucune doute une de mes cinq chansons françaises préférées, c’est « Ame Câline ».
En général je préfère les chanteuses aux chanteurs. Je déteste la gestuelle et l’inspiration du rap, le slam c’est trop premier degré et sentimental. Tous ces chanteurs français bobos-gnan-gnan (suivez mon regard!) me tapent sur les nerfs. Je trouve vraiment que tous ces gens sont horriblement conformistes.

Bien, parle-nous de ta « montée » à Paris?
– Et bien, je voulais faire publier un recueil de poèmes intitulé “Sirocco” qui est resté à jamais inconnu, heureusement (rires)! Travaillant par ci-par là, habitant à droite à gauche, j’ai toujours continué à écrire de la poésie. Mais c’était devenu tellement cérébral que – du jour au lendemain –  j’ai eu un déclic, et je me suis mis à écrire des choses hyper simples du genre “C’est un endroit inhumain/je prends ma tête à deux mains/et je crie, je crie/ je me dis que demain/ Je serai loin d’ici”. On retrouve ça dans mes chansons, comme : « Un Endroit Inhumain », « Jolie Fille d’Alger »…  Ensuite, j’ai rencontré Sister Tui, un acteur de théâtre alternatif-gay et nous avons monté une pièce très trash, influencée par  « Last Exit To Brooklyn » (NdR: roman de Hubert Selby Jr.), mais en plus drôle, pour laquelle j’avais composé quelques chansons dont “Les Biches de la Forêt”. Tout est parti de là. Puis j’ai retrouvé Antoine Merveilleux du Vignaux, qui faisait partie d’une bande d’artistes et glandeurs bohèmes, les “Gazol Speed” qui touchaient un peu à tout et à pas mal de dope. Faut dire qu’à l’époque prendre de la poudre – on disait la drepou alors – c’était la chose la plus cool du monde. Surtout qu’il n’y avait pas de problèmes d’argent, car une des membres de la bande, fille d’un grand antiquaire, était pleine aux as – du moins son père l’était!
Mais je ne suis pas tombé là dedans, je cherchais… Autre chose. Je regardais tout ce petit cirque sans avoir envie d’en faire partie, j’étais déja un exclu, d’une certaine façon…
Et puis je n’ai pas une personnalité « addictive », cela m’a été très utile dans la vie! 
Ensuite j’ai fait quelques shows en drag, avec Antoine à la guitare électrique, mais cela n’avait rien à voir avec du drag-queen-show classique: c’était une version cabaret des New York Dolls, style « rive-gauche »! Une sorte d’auto-parodie inspirée par ma tante Karine, qui était mannequin chez Mary Quant dans les sixties et l’idole de mon enfance.
Les premiers endroits où j’ai joué,  c’était un public assez marginal, post-punk, new-wave, avec pas mal de pédés (on disait pas encore  “gay”).
Puis « Jolie Fille d’Alger » est sorti  dans MAGAZINE en disque souple, Ramon Pipin du groupe parodique Au Bonheur des Dames l’a aimé et me l’a fait enregistrer en 45T chez Phonogram. Le morceau a connu une certaine notoriété, sans plus.

Comment en es-tu arrivé à l’album  “Succès Damnés”, sa “gestation”, et dis-en nous plus aussi sur les musiciens qui ont collaboré à l’enregistrement original ?
Quand j’ai rencontré BillyBoy* en 1983, on a tout de suite commencé à travailler. Tout était tellement passionnant ! Alors qu’avec mes musiciens j’étais arrivé à une sorte d’impasse, j’avais l’impression de tous les porter sur mes épaules ! Il y avait une espèce de sentiment d’inertie, des problèmes de drogue au sein du groupe, des galères pour la moindre des choses, c’était devenu épuisant.
J’ai donc arrêté la scène et la musique après avoir enregistré « Love Me Please » à Nantes, avec Jean-Pierre Baudry, un ami pianiste super-doué. En fait, Je suis passé à autre chose juste au moment où j’avais trouvé ma voix. V-O-I-X (rires) ! Et que je commencais à comprendre comment je devais et pouvais chanter.
Plusieurs années après, on m’a présenté Frank Darcel que je ne connaissais pas mais que j’avais vu sur scène une ou deux fois  à l’époque de Marquis de Sade, un groupe rennais avec un chanteur qui en faisait des tonnes dans le genre « torturé ». Bref, je me suis retrouvé à répéter à Rennes, avec de super musiciens qui travaillaient beaucoup avec Etienne Daho, puis on a enregistré l’album en un mois à Lisbonne. Et là, pour la première fois j’ai pu me rapprocher de ce que je voulais vraiment faire.

Que c’est-il passé ensuite?

– Rien. Ou pas grand chose… Mes deux co-producteurs ont fait écouter l’album qui avait été seulement pré-mixé, moi j’étais vraiment pas d’accord avec leur stratégie, et cela n’a rien donné.
C’est à ce moment là que BillyBoy* et moi nous avons quitté Paris pour aller nous installer à Trouville, au bord de la mer. J’en avais ma claque de Paris… En fait on avait pas besoin d’y être pour notre travail! Un soir, dans le train, j’ai écrit une chanson que j’ai finalement passée au chanteur Peter Kitsch, et qui est devenue un hit.
Puis j’ai coupé tous les ponts et je suis venu m’installer en Suisse. J’ai appris ensuite que les bandes master avaient été « perdues », ce qui fait que cet album n’a jamais pu être mixé comme il aurait dû l’être. C’est un peu comme d’avoir une super bagnole à disposition… Et ne rouler qu’en troisième. Mais je m’y suis fait. Grâce à l’équalisation faite aux studios Dinemec, l’album a été comme boosté, et « Succès Damnés » a enfin pu sortir de l’oubli.
Les chansons et les arrangements ont passé l’épreuve des années avec brio, et je suis très touché par toutes ces réactions incroyablement positives.

Dans quelles circonstances s’est déroulée l’écriture des chansons? Parle-nous de ta collaboration avec Mathieu d’Ocagne? As-tu (avez-vous) d’abord travaillé les mélodies, ou l’écriture des textes s’est-elle faite en amont?
Désolé, mais ce genre de question emmerde tout le monde, non?
Est-ce qu’on demandait à Marlene Dietrich si elle se faisait les yeux ou les sourcils en premier? (rires)
Il faut garder cette alchimie secrète. 
Moi, si je vois un p’tit groupe de branleurs qui vient de faire un tube que j’aime bien et que je les vois raconter en détail comment ils ont fait leur truc, je me mets à bailler instantanément, et je zappe direct! Pareil pour cette vieille tortue sympa qu’est Alain Souchon, dont le dernier clip en date est vraiment AFFREUX, by the way!

Le plus extraordinaire dans l’histoire de “Succès Damnés”, c’est évidemment le nombre important d’années qui s’est écoulé entre l’enregistrement et la sortie du disque en février 2009. Tu as laissé ton travail en jachère pendant 16 ans! Que s’est-il donc passé?
Quand on fait un truc pareil, si cela ne sort pas et ne débouche pas sur quelque chose, on est obligé de se faire violence pour pouvoir tourner la page. On relègue le truc. Au mieux dans un tiroir – au pire il se retrouve à la poubelle… Et on va de l’avant.
Pour la musique c’est moins évident que pour la peinture ou la photographie, où la temporalité n’est pas la même. En musique les sons et les modes changent vite, mais les bonnes chansons restent… J’ai la chance d’avoir une vie artistique très créative en collaboration avec BillyBoy*, donc c’est pas comme si j’étais resté à me tourner les pouces en attendant que Daniel Lanois ou Brian Eno m’appellent (rires). La musique, les chansons, c’était un truc de solitaire. BillyBoy* et moi avons un parcours créatif très riche qui touche à des domaines très différents. Pour moi, être artiste, c’est s’intéresser à tout, s’essayer à tout. Tous les domaines de l’art m’intéressent.
En 1993, les majors étaient au top de leur puissance et elles avaient toutes des connards comme directeurs artistiques, arrogants, qui n’écoutaient même pas ce que tu faisais. Soit ils ne signaient que du rock, après c’était que du rap… etc.
Ce que j’avais fait était trop atypique, je suis un genre à moi tout seul! Alors maintenant que tout ce monde des majors s’est un peu cassé la gueule et qu’il y a le web, les circuits changent. D’autres difficultés émergent aussi, d’ailleurs.

Quel a été le rôle de ton indéfectible compagnon/alter ego, BillyBoy*, dans la résurrection de ce bijou intemporel qu’est “Succès Damnés”? On dit que sans insistance de sa part, tu n’aurais jamais sorti le disque? Avais-tu des doutes sur la qualité de ton travail?
Oui, c’est lui qui m’a poussé, à partir du projet avec le magazine Sang Bleu, qui a sorti tout un cahier sur nos travaux dans le numéro 3/4. Billy a rencontré Paul Sutin de Dinemec Records à une garden-party, donnée par notre amie Cooky Springer.  Moi je ne voulais pas ressortir cet album, pour les raisons que j’ai énumérées auparavant, mais finalement… Je me suis laissé convaincre.
En fait je n’avais jamais perdu l’espoir de voir « Succès Damnés » sortir. Ça peut sembler étrange, mais j’ai toujours pensé pendant toutes ces années que mes chansons étaient faites pour des temps difficiles. Certaines choses n’arrivent que lorsqu’on ne les attend plus.
Le fait de se détacher de ses propres travaux antérieurs y contribue aussi, paraît-il…

“Vroom!Vroom” et “Geek National Anthem” dénotent avec le reste de tes compositions. L’utilisation du vocoder et des bruits de foule exaltée en arrière-fond semblent correspondre à une volonté de provoquer plus qu’à agrémenter les oreilles compatissantes de l’auditeur. Pourquoi ces écarts? Non pas que ce soit mauvais, mais bon la rupture est quand même brutale…
Normal ! Ce sont deux morceaux que BillyBoy* a composés avec un copain sur son ordi l’été dernier. A la base, c’était un gag, mais quand l’album a été sur les rails, je lui ai proposé de mettre les deux morceaux en featuring (on est vraiment reliés par la hanche, Billy et moi!). Donc on a rajouté de vrais instruments, en studio, chez Dinemec,  et Billy a chanté pour de bon sur « Vroom! Vroom! » qui s’inspire d’une sçène mythique de Marlene Dietrich dans “Blonde Venus” (NdR : film de Josef Von Sternberg, 1932). Sauf qu’après, les soucoupes volantes débarquent avec des robots!
Je trouve ces morceaux super, c’est du Yoko Ono en plus sexy!

Malgré la légèreté quasi-“bucolique” et l’allégresse (parfois teintée de nostalgie, certes) de tes mélodies, les textes des titres de “Succès Damnés” sont souvent bien ancrés dans les motifs de la ville, des mondes interlopes de la mode et de l’art, de la “hype”, de la difficulté des relations amoureuses, voire du mal de vivre, ou tout du moins d’un certain “spleen”, comme dirait Baudelaire. Comment as-tu réussi à concilier ces deux univers/visions du monde apparemment si dissemblables?
Je parle de mes expériences, de choses liées à l’identité, au désir, à l’amour. Ces chansons s’étalent sur une période de temps assez longue, c’est pour cela qu’elles sont si différentes les unes des autres…. J’aime à penser que mes chansons peuvent aider les gens, même si c’est fugace, car elles délivrent toutes un message… Qui d’ailleurs ne saute pas d’emblée à la gueule, j’en conviens.
J’essaie toujours de faire des chansons légères. Il y a presque toujours la notion d’humour, du décalage. Pour moi l’humour, c’est la forme ultime de la politesse.  Aujourd’hui, on subit une dictature de l’émotion pour l’émotion, du politiquement correct… C’est infernal !!  Il faut se battre pour proposer autre chose. Je remarque avec plaisir que se dessine une nouvelle tendance de chanteurs noirs dans le R’n’B qui laissent tomber le coté pimp pour un truc plus classe, parfois rétro-moderne,  mais en tous cas, ça nous change de toutes ces gesticulations des grosses caisses du rap, et des filles cantonnées aux rôles de salopes plus ou moins sublimées.

Penses-tu nous faire l’honneur de “monter au front”, et de donner des concerts, faire la promotion de ton travail, partir en tournée? Ou la sortie de “Succès Damnés” n’est-il qu’une tocade, gouvernée par la seule volonté de te faire plaisir (et de nous faire plaisir par la même occasion)?
Je n’ai pas envie de faire un retour sur sur scène avec juste un instrument ou deux, parce que cet album est très orchestré.
J’adorerais réunir les musiciens de l’album, mais ce ne sera pas facile. Je ne peux pas lire dans l’avenir, mais j’aimerais bien chanter « Mario et Johnny » à Taratata (NdR : émission de Nagui)!

Parle-nous du video-clip pour “Edie Superstar”…
BillyBoy* et moi avons tourné cette vidéo en seulement cinq prises, sans répétition aucune. Comme la chanson parle de la vie d’Edie Sedgwick, icône de la Factory d’Andy Warhol, on a re-créé toute une imagerie dans l’esprit de l’époque, mais avec des oeuvres à nous et des prises tournées il y a des années. Il y a aussi une lettre que Brigit Berlin (autre satellite de la Factory) m’a écrite le 13 janvier 1988 –  et c’est le 13 janvier 2009 qu’on a monté la vidéo. Et c’est par le plus grand des hasards qu’elle sort en pleine année Warhol, parce que la chanson a été écrite en 1992 déjà.

Lala, si tu devais emporter un seul disque sur une île déserte, lequel emmènerais-tu avec toi?
Je n’irai jamais me faire chier sur une ile déserte et encore moins avec un disque que je connais par coeur! (rires)

Une dernière chose, Lala. Quelle est la question la plus stupide qu’on t’ait posée lors d’une interview?

Celle de l’Ile Déserte! (rires) Mais les questions stupides font souvent rire, par conséquent elles ne sont pas si stupides que cela…

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