Hellfest – Vendredi 28 juin –

Crédits photos et article : Emmanuel

Je ne vais pas mentir. J’ai beau être matinal, j’ai mal au caillou. Le temps de boire un café noir et sans sucre, je me prépare à célébrer le metal féminin comme il se doit. Cette année encore, le Hellfest met à l’honneur les artistes femmes, dans un paysage métallique parfois très (trop) masculin.

Ankor

Les hispaniques d’Ankor sont déjà des légendes dans le genre. Après avoir écumé bar et festivals depuis plus de 20 ans, et pour les personnes qui l’ignorent, ce groupe s’est formé alors que ses membres avaient à peine…13 ans. Jessie, sa chanteuse, est déjà là depuis déjà 10 ans et le moins qu’on puisse dire c’est que la remplaçante de Rosa est diaboliquement douée pour tenir le public en respect. 

Pour s’en convaincre écoutez en boucle Darkbeat subtil mélange de metalcore, électronique (qui n’est pas sans rappeler les origines anglaises de la chanteuse) parlé, susurré puis hurlé avec une virulence qui scotche pas mal d’aficionados ce vendredi matin. 

Qu’on se le dise le metal féminin ça n’est pas seulement de la musique gothique ou lyrique. C’est terminé tout ça. Les temps changent. Jinger, Spiritbox, Ankor, Lovebites, In this moment, Saint Agnes, Brutus, et bien d’autres, ont changé la donne, et ça n’est qu’un début. 

Et que dire de la batteuse, Eleni Nota, grecque de son état, qui abat un travail remarquable et botte le derrière de bien des bonhommes aux baguettes : ça blast, ça double et quadruple les croches, et pas un seul pain. Dieu sait que le metalcore est précis. 

Le show, trop court, à mon goût se termine par une danse endiablée avec le l’ensemble du staff sur fond de Mylène Farmer et son Désanchantée qui confère à ce tableau, un je-ne-sais-quoi de nostalgie, à la fois trouble et sombre, désenchantée en somme! Quelle belle entrée en matière!

Lovebites

En voilà un groupe que j’attendais depuis un petit moment. Le concept est simple vous allez voir : cinq japonaises affublées de robes de mariées, de talons hauts de 15 cm y compris pour la batteuse! Jusque là, tout est normal dans notre monde métallique. Les musiciennes évoluent dans un heavy speed hyper entre power et tradi, donc très très très carré, ce qui est déjà moins ordinaire. 

Difficile de ne pas penser à Helloween en écoutant Soldier stands Solitary. Vous voilà prévenus : vous allez prendre un méchant coup de pied dans le derrière. Ça bastonne comme à Chicago. Les ponts et les différents arpeggio  de guitare sont énervés et la basse, jouée aux doigts, à l’instar d’un certain…Markus Grosskopf

Pendant ce temps-là Haruna, qui officie aux baguettes, a visiblement bien étudiée ses classiques tant ses breaks sont semblables à ceux de l’immense Uli Kusch d’Helloween, et assène des plans rapides, exécutés à la vitesse de l’éclair. C’est devant un parterre assez surpris que cette équipe déploie son heavy speed mélodique, grandiloquent, très aigu au niveau des vocalises. Il y a parfois ces sonorités qui tirent du côté de la pop tradi japonaise dans la voix d’Asami (cela est aussi dû à la langue japonaise, haute perchée). On aime ou pas mais il faudrait être dur de la feuille pour dire que l’ensemble n’est pas parfaitement maîtrisé et servi avec une conviction qui fait plaisir à voir.

Tant les mélodies de guitares que les structures empruntent, tour à tour, à Rage, Stratovarius ou Rhapsody of Fire mais la plus grosse influence vient probablement de ce qu’une certaine dame de fer a produit de meilleur avec des guitares incisives, presque progressives, et des mélodies somptueuses.

Difficile aussi de ne pas penser à Malmsteen sur ces solis perçant et exubérants. Il y a, cependant, ici, un côté très appliqué et discipliné (japonais!) qui replace le propos davantage du côté du heavy « à l’allemande » que de celui du monde du guitar hero américain. 

Une preuve que le heavy speed n’a pas dit ses derniers mots. 

Le public se prend une dernière joute avec un Holy War surpuissant. Ne vous fiez pas aux apparences, ces drôles de dames ,je le répète, sont sur le point de faire parler d’elles. 

En tout les cas, le public est conquis au delà de l’aspect curieux et esthétique, la proposition de ce midi sur une Mainstage, excusez du peu, a convaincu, bien des aficionados.

Wargasm

Voilà encore une des raisons pour laquelle ce festival est original ! Wargasm. Rien que ça. L’ambiance passe du Heavy speed mélodique, à la crasse et à l’électron libre qu’est Milkie Way. J’avais déjà pu voir cette dame évoluer en live mais dans une configuration moins solennelle qu’une Mainstage.

Débraillée, insolente, provocante, des sons crades, limites lo-fi, parfois englués dans de l’électro à la limite d’un Nine Inch Nails qui aurait copulé avec son double métal maléfique, les britanniques évoluent dans la même veine qu’un Fever 333 et qu’un Ministry. 

Soyez donc les bienvenus.

Le coté très antisocial est mis en avant sans pour autant faire du duo Rachel/Sam, un gimmick punk sans consistance.

Bien au contraire le propos est des plus cohérent, s’il en faut. Historiquement, es anglais ont souvent eu de l’avance dans beaucoup de sonorités, n’oublions pas d’où vient Prodigy. Le côté électro-punk, s’il fallait mettre une étiquette, est celui qui ressort le plus ce midi.

Ceci étant posé, pas de doute, le combo maitrise méchamment la scène, et l’esthétique alternative, punk, rock, saupoudré d’électro dans ce duo, tant  sur le plan vocal qu’esthétique, enchaîne les crachats et ne nous laisse que peu de repis. 

Ne vous y trompez pas là aussi. Le côté esthétique (Milkie Way est mannequin) n’a rien à voir avec l’aspect musical. Et si vous ne remuez pas à l’écoute des « Pyro Pyro », punk à souhait, avec un refrain propice à se briser la nuque ou un « Modern love » avec son refrain angoissant, répétitif, lancinant , je ne peux plus rien pour vous! 

A découvrir de toute urgence si ça n’est pas déjà le cas.

Fear Factory

Il y a de cela 20 ans (en fait un peu plus…) j’avais été TRÈS déçu par la prestation d’un groupe iconique qui avait pourtant bercé toute mon adolescence boutonneuse de geek et très franchement, je vous parle d’une époque où j’élevais Burton C. Bell et Raymond Herrera au rang de demi-Dieux. Á l’époque, rien n’allait, c’est bien simple. Le son, l’attitude, les pains « industriels » (hihihi!) à la batterie. Une catastrophe pour un combo qui avait pondu, rien de moins que Soul of a New Machine, c’est-à-dire l’acte de naissance de l’indus-metal, réédité en 2023. 

On parle là d’un album légendaire, introduisant les machines dans le monde du métal en l’an de grâce 1992. L’indus metal était né dans les cerveaux fous du trio maléfique, Bell, Cazares, Herrera. Tout  le monde a été biberonné à cet album : Cool Chambers, Soulfly, Prong, Chimaira et j’en oubli des machins… Le titre était inspiré du roman de Tracy Kidder aussi effrayant que  visionnaire, évoquait un monde où l’ordinateur quantique semblait gagner la bataille. Effrayant donc. Les choses avaient bougé. C. Bell s’était fâché avec ses amis de toujours, Herrera disparu et Cazares s’en était allé, un temps, porter la cagoule mexicaine au sein de Brujeria

Cet après-midi, j’étais loin d’imaginer que j’allais (enfin) vivre ma némésis. 

C’est bien simple, et après avoir consulté quelques spécialistes dont je vais taire le nom (hum… non je ne dirai rien…) Fear Factory a bel et bien donné cet après-midi, l’un des meilleurs concerts de sa carrière. Absolument Messieurs Dames.

Je pourrais en pondre des pages. À commencer par l’excellent Milo Silvestro ou encore Pete Webber, tous deux arrivés en 2023 et qui font totalement oublier leurs prédécesseurs. 

« Recharger », « Powershifter », ou encore « Disruptor » nous démontent littéralement les oreilles, voix cleans, sonorités guitaristiques taillées comme une lame de rasoir, batterie carrée comme le lit d’un légionnaire et basse qui nous écrase les tympans au fond du crâne. C’est parfait. 

Lorsque l’italien fait raisonner « I don’t want to live that way » je comprends que le concert touche à sa fin. Le triptyque « Demanufacture », « Replica », «Zero Signal » me replonge dans les salles de concert parisiennes de la fin des années 90. J’en ai des frissons, rien qu’en parler. Je revois tout. Je me souviens de tout. Cette voix clean, basse et froide, est parfaitement exécutée tandis que la machine rythmique Cazares/ Campos/Webber prononce notre arrêt de mort, retenti un « fatality » emprunté à Mortal Kombat. L’usine de la peur a gagné par K.O technique. 

Jetez-vous de ce pas sur la rediffs d’Arte Concert si ça n’est pas déjà fait.

Polyphia

Le metal progressif et instrumental des texans de Polyphia, emmené par l’étrange Tim Henson, l’homme qui souriait tout le temps, est un cas unique. Plusieurs dizaines de millions de vues sur chaque titre, millions d’abonnés sur les réseaux, et pourtant, des titres ultra complexes, sans forcément de refrains ou de choses sur lesquelles se raccrocher.

Alors comment se fait-il qu’on observe ça et là des personnes dans le public scander et mimer certaines parties des titres? Tout simplement car Henson est un monstre de virtuosité! Il faut dire que les autres ne sont pas en reste. Pour qui aime les riffs tordus d’Animals as Leaders ou ceux de Beyond Creation voici son cousin maléfique instrumental.

« Chimaira » est certainement la chose la plus aboutie du combo qui va mélanger, metal, refrains progressifs, pont rap, batterie metalcore, harmonies heavy. Inclassable. Les sons cristallins du duo Hanson/LePage font mouches et ne sont pas sans rappeler un certain guitariste chauve qui surfait avec les aliens si vous voyez ce que je veux dire.

Alors que retenti « GOAT » j’observe une bien étrange scène. Le groupe devant moi est littéralement en train de pleurer à chaudes larmes en regardant Hanson comme s’il s’agissait d’un messie descendu sur terre pour bénir les misérables que nous sommes. 

L’esthétique est forte intéressante avec ce jeu de contraste, tatouages flippants et grands sourires, harmonies de guitare telle de la dentelle et batterie qui castagne tout. 

Un moment hors du temps. 

Steel Panther

Je ne vais pas m’étendre des heures sur le cas de Steel Panther car Steel Panther fait du Steel Panther. Le concept du millième degré fait toujours mouche à en juger par le nombre de jeunes femmes qui se jetent à moitié nues dans les bras de Michael Starr. 

Une question me taraude, que pense madame Starr du fait que monsieur se fasse galocher par des minettes de 20 ans, les seins nus tous les soirs? Car, oui, il y a une madame Starr et monsieur accuse 60 printemps! Ça passe vite me direz vous. 

Comme à l’accoutumée se ont les classiques qui sont interprétés ce soir, notamment le poétique “Asian Hooker”, je vous recommande les paroles, c’est un délice.

La sécu a du avoir bien du fil à retordre ce soir car les dames devaient bien être une centaine présentes sur scène. Toutefois l’ensemble reste bon enfant et on voit bien que le chanteur, même s’il joue à la rockstar, n’embrasse ni ne touche personne. Le monsieur se laisse toutefois peloter et embrasser langoureusement par une fan visiblement émue (j’ai décidé de ne pas mettre de photo de ce moment assez gênant) et très entreprenante. Le spectacle toujours le spectacle, encore le spectacle, à l’américaine quoi !

Tom Morello

Quand on a monté le plus grand groupe de rap metal (appelons ça comme ça à défaut d’une autre nomination convenable) du 20ème siècle, monté un side project avec le très regretté Chris Cornell (Audioslave bien évidemment) et qu’on est sorti major de sa promo à Harvard avec un Bachelor obtenu en sciences sociales et finalement, monté un parti politique avec le leader de SOAD, tout devient facile dans la vie.

Autant vous dire que l’homme sa balade plus que tranquillement sur cette Mainstage, et ça n’est pas peu dire. 

Les backdrops affichent clairement la couleur du désespoir (mondial), comme dirait Pierre Perret, et ce soir, c’est le noir. 

Morello se bat, en effet, depuis des années aux côtés du mouvement Black Live Matters et amène en plus de sa musique de la visibilité aux personnes racisées qui sont, rappelons-le, trois fois plus visés par des tirs mortels lors de « simples contrôles de police » (aux USA mais aussi en France).

C’est simple toute la set -liste de ce soir est un manifeste, efficace, vindicatif, puissant. Manifeste contre les injustices faites aux minorités, aux femmes, aux enfants, et bien sur, un grand fuck adressé au monde de la finance, à travers une référence à la multinationale Goldman Sachs.

Les choses s’ouvrent sur « Soldier in the Army of Love » et à en voir le back drop le ton est donné. Le public est gratifié de deux superbes medley qui viennent réveiller les bons souvenirs « testify/take the Power Back/Freedom/snakecharmer » et le second « Bombtrack/Know your enemy/Bulls on Parade/Guerilla Radio/Sleep now/Bullet in the Head ». L’autre fait marquant ce soir ce sont ces deux reprises géniales de Måneskin « Gossip » et celle de Bruce Springsteen « The Ghost of Tom Joad ». Morello reste un putain de génie de la six cordes car derrière cette vindicte et ce côté débraillé d’éternel rebel universitaire, se cache un musicien qui sait faire le job avec peu de notes et qui est tout aussi capable de surprendre son monde avec des riffs puissants et harmoniques, je pense notamment au cover de MC5 et ses notes psychédéliques. Que dire de « Like a Stone » qui est un petit bijou au niveau des harmonies simples mais précises. 

Morello est un musicien ne nous y trompons pas. Le public termine à genou devant un « Killing in the Name » furieusement cataclysmique. 

La messe est dite. Morello est venu et a vaincu. Dommage pas de redif de cet incroyable concert. 

Shaka Ponk

Que je suis heureux. Quelle dinguerie. Quelle présence. Voilà un groupe qui a de l’énergie à distribuer. Le duo à la scène et à la ville : François/Samaha domine la scène, je dirais même plus, tient la scène dans sa main. 

Tout à tour chaman, showman, poète, avec ce regard psychotique, électrisé mais maitrisé. « Je m’avance » voit un François dominer la scène avec une aisance incroyable et véritablement s’avancer en marchant sur le public littéralement. 

Le son, les refrains hyper travaillés (avouez que vous aussi, avez remué votre tête sur « I’m Picky »), le look, cette incroyable coupe de cheveux de Samaha, sont des éléments marquants. Comme si le temps, d’un coup, d’un seul, fut suspendu, ce concert vous plonge dans l’ici et maintenant, cette urgence adolescente, que Shaka arrive à ramener sur scène tout en illuminant nos pupilles de gosses. 

C’est cela même qui s’est passé. Le regard de François se fait intense lorsqu’il toise son public. Tout aussi intense, celui de Samaha qui entonne un « Smell like Teen Spirit » sexy, envoutant, les yeux incandescents, mouillés, le tout accompagné d’une chorale solennelle, en nous faisant sentir tout le malaise décrit et contenu dans cette chanson. Tant de vérité à cet instant. 

Pourra t-on mettre la barre plus haute ce soir en terme d’émotions? J’en doute fort. J’avais envie que ça ne s’arrête pas. L’éternité de l’instant comme dirait Romain Humeau. “Tant pis dirait” mon pote Titi. Au fait : salut Christophe !

« Sex Ball » et « Dad’Algorythm » viennent conclure de la plus belle des façons un concert magistral, mythique, mystique, qu’il fallait voir à tout prix car Shaka arrêtera toutes ses tournées à la fin de l’année, malheureusement. 

Machine Head

Alors que mes deux mains s’accrochent à la barrière, je me dis que malgré le monde, la fatigue et l’heure tardive (plus d’une plombe du mat’) j’y suis.  Le site est MEGA chargé, il ne faut pas être claustro sinon c’est le malaise assuré. Ça pousse, ça gémit, ça sent la sueur, il fait une chaleur à crever dans cette fosse et les choses ne vont pas s’arranger, croyez-le bien. 

Au devant de la scène Machine Head a placé des colossales systèmes pyrotechniques. La température va monter de dix paliers d’ici quelques instants, et tandis que résonnent déjà les notes ramassées et dépouillées d’ « Imperium », c’est un Rob Flynn qui s’amène devant nous en hurlant « Hellfest » et bim, comme prévu, la température monte dramatiquement, lorsque ce satané système se met à cracher des flammes qui touchent limite le haut de la scène ( et croyez moi elle est haute). Je suis trempé de sueur et deux minutes à peine ce sont écoulées. Les deux zozos à côté de moi, tombent comme des mouches. Et hop évacuation. Ici tout est carré, en cas de besoin, la prise en charge médicale est rapide. Bref, il en est ainsi pour les moins expérimentés. 

« Ten Ton Hammer » n’aura jamais aussi bien porté son nom. Dans la nuit noire, ce marteau nous fracasse littéralement le crâne. Flynn qui a désormais de faux airs d’un certain Tom Araya avec cette puissante barbe poivre et sel et cette voix très enrouée, déplie ses ghost notes au milieu d’une rafale de caisse claire. D’ailleurs, au passage, le fameux Chris Kontos, même s’il n’est plus de la partie pour cette tournée, Matt Alston abat un boulot remarquable. Carré, rapide, technique mais avec un frappe de bucheron (ce que n’avait pas Mc Clain quoi qu’on en dise). 

Si vous aimez le feu, les ballons, les potards à fond, il fallait être là. Je peux témoigner que des gens ont souffert tel Ponce Pilate, pendant « CHØKE ØN THE ASHES ØF YØUR HATE ». À partir de là, la soirée se déroule à une vitesse de fou. « Locust », « Bulldozer » et la triade finale « From This Day », le titanesque « Davidian » et le monolithe « Halo » ferment cette soirée de dingue. 

Soirée de dingue qui va se poursuivre tard dans la nuit…tôt le matin avec une équipe d’anglais très en forme au vip. Le rhum coca coulera à flot…chouette.

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