Föllakzoid en interview

Föllakzoid est passé présenter sur scène son nouvel album III (2015) au RKC (à Vevey) au même moment où la scène psychédélique chilienne explose finalement de façon internationale. Cela est surprenant pour un pays plutôt connu par ses dictateurs, son vin et ses stars du football ou du tennis. Cependant, depuis quelques années, un courant souterrain imprègne la capitale, Santiago, grâce à des groupes comme The Ganjas, Watch Out!, The Holydrug Couple et La Hell Gang

Ce phénomène a attiré l’attention des médias – comme Noisey (Vice) et Pitchfork – et des labels, telle la maison de disques Sacred Bones, basée à New York. Celle-ci a signé Föllakzoid – qui grâce à leur succès international s’est positionné en chef de file du mouvement – et The Holydrug Couple. Ces groupes ont la particularité d’effectuer une recherche sonore qui incorpore des éléments autochtones des cultures précolombiennes au rock psychédélique des années 1960 à nos jours.

Föllakzoid a un son également très influencé par le kraut rock de groupes comme Can et Neu, avec des rythmes hypnotiques et des mélodies circulaires. D’ailleurs, le combo chilien préfère éviter les étiquettes et se définit comme de la musique cosmique dans leur page de bandcamp, plutôt que comme du psych rock. Le trio a fait des tournées avec Psychic Ills et des concerts dans des festivals comme le Primavera Sound à Barcelone et All Tomorrow’s Parties en Angleterre.

Au RKC, les Föllakzoid jouent avec passion et précision. Le trio crée une musique qui se tisse lentement, avec des rythmes denses et pulsants, des guitares saturées de delays, une basse profonde et des claviers enivrants. Par moments, la transe est totale et leurs morceaux de plus de dix minutes ressemblent beaucoup plus à de la musique électronique qu’à du rock. Le public est ravi et danse comme dans une rave, ébahi.

Par ailleurs, le dernier album de Föllakzoid a un invité de luxe: l’allemand Uwe Schmidt. Il s’agit d’une légende de l’électro. Celui-ci a commencé par être un des papes de l’Acid House à la fin des années 1980 avec son projet Atom Heart pour se transformer par la suite en une figure clé de l’électronique de pointe et d’avant-garde. Son nom le plus connu est Atom Tm, mais il dispose d’une série ahurissante de pseudonymes, dont Schnittstelle et Señor Coconut.

Atom est une figure de culte, un allemand qui a adoré les morceaux kraut de Föllakzoid et qui a joué dans leur album avec un clavier que Kraftwerk utilisait en live pendant leurs concerts.

Nous avons profité du passage des chiliens au RKC pour discuter avec le guitariste Domingo Garcia-Huidobro à propos de leur label à New York, la fièvre du rock psyché, le succès et les étiquettes. Nous avons également parlé de la collaboration avec Uwe Schmidt et du film que Domingo a réalisé (il est aussi cinéaste), ‘Partir to Live’ (2012). Celui-ci est vendu en DVD avec une recommandation de Jim Jarmusch sur la pochette, disant que c’est un des meilleurs films qu’il a vu récemment.   

 

LOR : Comment avez-vous signé avec Sacred Bones?

Domingo Garcia-Huidobro : Quand ils nous ont contactés, c'était un label qui venait de naître, créé par monsieur Caleb Braaten, et qui était situé dans le souterrain d'un magasin de disques à New York, Academy. Dans la même salle, il y avait les bureaux d'un autre label qui commençait: Captured Tracks, tenu par un employé d’Academy, monsieur Mike Sniper. Dans le souterrain, il n'y avait pas de ligne téléphonique. Nous avons donc reçu un message à travers Myspace. Ils avaient bien aimé nos morceaux sur ce réseau. C'est drôle parce que nous n'avions contacté aucun label ni envoyé des démos à personne.

C'était quand?

Vers 2007 ou 2008. Nous n'avions encore pas encore sorti d'album, ni eux non plus, d'ailleurs. Ils commençaient eux aussi, nous avons donc grandi un peu ensemble et en parallèle: eux comme label et nous en tant que groupe.

Est-ce qu'avoir un label à New York vous a aidé à tourner à l'étranger?

Le fait d'avoir un label nord-américain a été fondamental pour pouvoir aller ailleurs, mais ils ne nous ont jamais payé ni programmé une tournée.

C'est arrivé comment, alors?

C'est assez organique. Le patron de Sacred Bones, Caleb, nous a mis en contact avec Psychic Ills. Il m’a présenté Thérèse et nous a dit que nous devions parler entre nous. Nous avons discuté pendant un an et puis nous sommes partis avec eux en tournée, faisant les premières parties de leurs dates. Mais c’était nous qui nous financions de façon indépendante. D’autre part, nous avons établi de bons rapports avec des promoteurs dans différents endroits du monde, aux États Unis et en Europe. Nous avons été en Grèce et deux fois en Russie, par exemple.

Vous avez publié deux albums jusqu’à présent?

Trois albums et un Ep. Le premier disque nous l’avons sorti sur le label BYM, Blow Your Mind Records. Puis nous avons signé avec Sacred Bones et s’ensuivent le EP et les autres disques. Le premier album est le ‘BYM 02’ dans le catalogue du label.

Qui d’autre est sur BYM?

Juan Pablo, notre bassiste, dirige le label. Il y a La Hell Gang, où joue Ness, le frère à Juan Pablo, et aussi Watch Out!, The Holy Drug Couple, VuélveteLoca, The Psychedelic Schafferson Jetplane et Nueva Costa, pour les plus jeunes. Parmi la génération des ainés (de la psyché chilienne), il y a Tsunamis, The Ganjas, Yajaïra et Chicos de Nazca.

Vous continuez à travailler avec BYM?

Oui, nous enregistrons et nous produisons nos albums dans leur studio, lesquels sont manufacturés et distribués par Sacred Bones par la suite.

Comment a été l’expérience de travailler avec Uwe Schmidt (Atom Tm)?

Nous avons joué dans un festival en France, possiblement à Nantes ou à Metz. Il y avait Atom qui y jouait aussi, nous avons vu son spectacle ‘Atom HD’ et nous avons été très impressionnés. Longtemps après, je suis allé voir Atom au centre culturel GAM à Santiago, au Chili. Il vendait ses disques en vinyle, ce qui est rare. Je lui ai acheté les deux albums qu’il vendait et je suis parti. Sa manager m’a contacté sur place, elle m’a dit qu’Uwe aimait bien notre groupe, que quelqu’un le lui avait montré à New York il y avait une année de cela et qu’il avait demandé à avoir le disque, étonné du fait qu’on était chiliens. La manager me demanda alors si nous allions bientôt enregistrer. Je lui ai répondu qu’on allait entrer dans le studio deux jours après. Notre label nous avait proposé plusieurs producteurs pour l’album, l’album mais nous n’étions pas convaincus.

Vous avez fait quoi?

Du coup, j’ai pris rendez-vous avec Atom, à qui j’avais pensé au début comme un idéal irréalisable, des mois auparavant. J’ai écrit au label, ils lui ont payé son travail et voilà, le tour était joué. C’est nous qui avons produit finalement le disque. Uwe est venu collaborer par la suite. Nous avons enregistré le disque pendant dix jours, puis nous l’avis mixé à BYM avec Ness. Par la suite, nous avons envoyé les pistes à Atom, qui a rajouté les atmosphères et les synthétiseurs. Les premières instances de discussion du projet étaient très spéciales. Comment parler avec quelqu’un sur quelque chose d’aussi éthéré que ta musique? Nous nous sentions comme lorsque tu vas chez le psychologue. Comment arriver à partager tes goûts et tes idées sur la musique, ton imaginaire?

Cela s’est bien passé?

Nous nous sommes mis alors à discuter de trucs, comme utiliser certains sons et une chose un peu atonale plus en lien avec le concept de spatialité dans la musique concrète. Nous ne voulions pas utiliser les synthétiseurs comme nous l’avions fait dans le passé, d’une façon plus harmonique et avec des effets. Nous avons pu alors préciser le concept et partager des moments, comme lorsque nous avons halluciné en entendant le bruit d’une porte qui grinçait. Il me disait qu’il comprenait mon émotion. Tous les deux-trois jours j’allais me réunir avec lui pour écouter ce que nous avions pu avancer. Au début, il était très respectueux, il a fait quelque chose de semblable à ce que nous avions fait dans notre disque précédent. Puis, vers la deuxième partie de notre collaboration, il s’est lâché. Là, il a explosé et c’était génial. Nous avons pu joué pour la première fois sur scène avec lui à New York, il y a deux semaines. C’était incroyable. Nous étions avec notre interprète de clavier habituel, Camilo, plus Uwe.

Est-ce que Camilo reprend sur scène les parties écrites par Uwe?      

Non, quoiqu’il agisse selon le même concept de spatialité concrète présent dans l’album. Uwe n’a d’ailleurs pas non plus joué ce qu’il y avait dans l’album, lors de notre concert ensemble. Pendant le test du son, nous avons pu voir un coït cosmique et synthétisé entre les claviers d’Uwe et Camilo, qui essayaient de se mettre d’accord.

Le rock psyché a pris une place importante dans la scène musicale actuelle, au niveau de la presse, des festivals et du public. Comment vous sentez-vous par rapport à cela?

D’une part, le groupe est très présent d’une façon médiatique dans ces endroits. Mais d’autre part, ce n’est pas un lieu vers lequel nous regardons en ce moment. Je crois que la musique prétend continuer plutôt son propre chemin, qui n’a rien à voir avec une scène spécifique ou avec quelque chose en lien avec la hype. Il y avait un temps où nous débutions et c’était le même concept, sauf que ce n’était pas à la mode. Et nous continuons à faire la même chose avec la même énergie. On te tague. Parce qu’à la fin, la presse te tague. Si le tag à la mode est telle chose, nous n’allons pas nous guider par rapport à cette chose. On se rend compte qu’il y a tellement de différences parmi les groupes qui ont été définis grâce à une certaine étiquette, que celle-ci tombe à l’eau. En même temps, il y a des groupes qui imitent un style pour appartenir justement à une scène déterminée. Nous sommes loin de tout ça, nous voulons élargir le spectre sonore avec des fins différentes.

C’est quand même très rare qu’un groupe chilien soit reconnu dans une scène internationale, comme c’est le cas avec vous…

Je crois qu’on n’a jamais été intéressés par la direction proposée dans la musique chilienne, où tout le monde se tourne vers le Mexique ou l’Espagne.

Est-ce que le fait de venir d’un endroit si éloigné a un lien avec votre succès?

Je crois que oui. Il y a là différents facteurs qui entrent en jeu: la distance géographique et surtout je dirais que le dicton qui dit que personne n’est un prophète chez lui existe, c’est quelque chose qui arrive pour de vrai. Les critiques internationales ont toujours relevé le fait que nous sommes exotiques mais qu’en même temps notre musique reste très proche. Ce contraste entre le proche et le lointain est très utilisé par la presse.

Je voulais me référer à cette « vision cosmique chilienne » que j’ai lue quelque part…

Cela est très amusant, aussi. C’est-à-dire que tu dois choisir entre t’emprisonner dans les tags qui te sont imposés par les journalistes internationaux et leur ouvrir l’esprit avec des choses qui sont vraies malgré tout. Elles sont même élémentaires. Lorsque je dis que nous sommes influencés par des patrons de rythmes indiens, par exemple, ce qui est le cas avec toute la musique faite en Amérique du Sud. Nous sommes un continent qui se nourrit de la culture aborigène, avec différents degrés de profondeur. Cela pourrait être dit par une chanteuse pop chilienne, par exemple, c’est un commentaire très général. Ce qui est ok, c’est mieux de causer sur la musique qui vient de chez toi que de discuter des tags qui te sont imposés par la presse.

Un autre sujet: tu es entrain de faire des projections de ton film, ‘Partir to Live’?

Oui, on en a fait plusieurs, des projections. En 2013, nous avons eu enfin une première internationale, après une première nationale en 2012 au Festival International de Valdivia. Entre 2013 et 2015, nous avons tourné dans environ 12 festivals internationaux de cinéma: Bruxelles, Paris, Moscou, Berlin, Londres et New York, entre autres destinations. Le même jour que nous avons sorti le disque III de Föllakzoid, nous avons publié également un disque avec la bande-son du film, accompagné par un DVD avec le long métrage. Nous allons donc encore projeter le film pour quelques dates pseudo-finales après cela. Une à Anvers, une à Rotterdam et une à Paris, où nous ferons également la première partie de Swans.  

Est-ce qu’il y a un lien entre ta musique et tes films?

Oui, absolument. Les deux ont le même propos final, qui est être une expérience sensorielle qui altère la perception. Il faut que le spectateur/auditeur se situe dans une position où il doive lui-même trouver le sens, la signification, qu’il doive s’auto-signifier le contenu de ce qu’il vient de digérer. Cela est à l’opposé d’une chanson avec une musique facile, avec des paroles très claires, ou d’un film avec des paroles très claires. C’est des expressions d’une abstraction qui cherchent à induire quelqu’un « vers » quelque chose, plutôt que la personne « déduise » quelque chose. Induire un autre état de compréhension ou quelque chose du genre. C’est la même approche pour la musique que pour les films.

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