"Ode To Sleep" ouvre le bal, et si vous découvrez le groupe avec ce titre-là, vous devez très certainement être en train de vous demander si vous n'êtes pas tombés sur du Eminem. Mais rassurez-vous, le changement arrive rapidement et emmène dans un tout autre registre. Ce titre aura néanmoins un peu de mal à vous convaincre en tant que nouvel auditeur, mais attendez le prochain avant de décrocher. C'est avec le très pétillant "Holding On To You" qu'on commence à se faire au phrasé très particulier du chanteur Tyler Joseph, qui semble être autant à l'aise dans le rap que le chant clair. Les premières inquiétudes d'un album aux influences urbaines se dissipent donc. "Migraine" suit cette même ligne musicale. Puis on rejoint la légèreté de "House Of Gold", un titre amusant (dédié à la mère du chanteur), et dont le vidéo-clip en rajoute encore. Avec "Car Radio", il s'agit d'autre chose. Le sérieux s'impose dès les premières notes. Un nouveau talent musical se greffe sur ce morceau : le slam. Et là encore, Tyler y est excellent. Il livre une intensité comme jamais. Mais "Car Radio" n'aurait sans doute aucun mal à exister sans texte tant son accompagnement instrumental est somptueux.
Pas le temps de reprendre son souffle : le passage d'une émotion à l'autre se fait sans transition, puisque la légèreté s'invite de nouveau avec "Screen". "The Run And Go", dans laquelle le chanteur avoue le meurtre d'une personne – événement que les deux artistes s'amusent à raconter en interview avec un sérieux à se pisser dessus –, continue dans cet esprit enjoué. Leur rencontre et la raison pour laquelle ils sont en tournée sont des histoires tout aussi rocambolesques… S'ensuivent trois titres absolument transcendants : "Fake You Out", "Guns For Hands" et "Trees". Ce dernier réussit même à m'humidifier l'oeil, juste avant de s'enflammer dans un dubstep effréné.
"Truce" clôt l'album d'une façon inattendue : un piano-voix qu'on placerait bien dans un western du type « True Grit », où le chanteur serait le pianiste d'un saloon. On imagine très bien la scène : Tyler Joseph assis devant son piano en fin de soirée dans une ambiance tamisée et fumeuse se mettant à chanter ces quelques vers ; le barman resservant pour la énième fois son whisky à ce client habitué des bars ; et ce dernier, armé d'un chapeau de cow-boy, cigarette au bec et son Colt sur la hanche, crachant de temps en temps dans son sot… VESSEL surprend jusqu'au bout. Ce dernier titre marque une trêve, comme son nom l'indique, jusqu'au prochain album qu'on attend avec impatience.
Derrière l'électro et le côté allumé de certains titres se cache quelque chose de profondément touchant. "Car Radio" est l'un des plus beaux morceaux de l'album, et provoque en moi beaucoup d'effet ; pourtant il n'est que parlé. Mais il constitue une gradation qui conduit vers un cri du coeur déchirant de la part du chanteur. J'aime la façon dont les morceaux sont construits, avec cette montée vers un point où les émotions sont brutes, sincères et totales, et la façon dont ils se calment de nouveau après l'exaltation.
L'album est loin d'être linéaire. Différents styles musicaux sont reconnaissables. Tantôt rock, tantôt électro, folk, reggae ou plutôt rap, VESSEL garde cependant sa cohérence. Le titre qui se démarque éventuellement est "House Of Gold", avec ce ukulele tout le long – instrument également utilisé sur "Screen" et d'autres titres lors de lives acoustiques, et qui change considérablement la nature même des morceaux en leur donnant un autre sens.
Les textes sont prodigieusement bien écrits, difficilement prononçables tant certains passages sont rapides – Tyler a juste un débit de malade –, mais très bien écrits. Et on prend même plaisir à suivre dans la pochette et à essayer de comprendre des paroles jamais trop explicites mais qui ont un vrai fond. Elles laissent à chacun, je pense, la possibilité de s'y reconnaître. Le mieux est encore d'écouter Tyler Joseph expliquer lui-même track by track la signification de VESSEL pour se rendre compte de sa sensibilité et sa fragilité, qui constituent en fait la force majeure du groupe.
Quelques changements de tempos et de styles au milieu de certains morceaux sont à remarquer ("Ode To Sleep", "The Run And Go", "Guns For Hands") : sans doute pour créer un effet de surprise, un break et aérer un morceau qui deviendrait peut-être lassant après 4min. Le piano est également un élément important de cet album. Présent sur la plupart des morceaux, c'est souvent lui qui apporte la touche d'émotion supplémentaire, comme par exemple sur "Trees".
Cinq vidéos sont déjà disponibles : des clips souvent déjantés, mais qui sont à l'image de Twenty One Pilots : un duo d'une excentricité et d'un charme déconcertants. Deux garçons à l'humour certain qui n'ont pas peur de se livrer et dont la complicité est bien reconnaissable en interview. Ils ne font pas dans la demi-mesure et trouvent les mots justes pour faire ressentir des choses. VESSEL est un concentré d'émotions très diverses, une explosion des sens. L'un de mes coups de coeur de l'année 2013.
On aura beau chercher quelque ressemblance avec des artistes connus, tels Eminem pour le timbre de voix sur les parties rap, ou Mika sur les mélodies les plus élevées, il n'y a pas deux groupes comme Twenty One Pilots. Personne ne fait ce qu'ils font. Tyler Joseph a une voix qui porte chaque style au plus haut, et dont les capacités sont étonnantes. Personne ne se produit non plus comme eux sur scène, avec quelques cascades et une proximité avec le public toujours appréciables.
Authentique. Sincère. Intelligent.
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