Ah Graham Coxon. Que voilà un grand homme. Humble, modeste, excellent musicien (guitariste mais pas seulement), très créatif, il aura été celui qui pendant dix ans au sein de Blur aura le mieux aidé ce génie absolu de Damon Albarn à mettre ses idées en musique, ce qui n’est vraiment pas rien. Tout ceci avant qu’au début des années 2000, ne se reconnaissant plus dans les délires africains de son acolyte et terriblement frustré que ses compositions ne soient quasiment jamais retenues au moment de l’enregistrement des albums (le syndrome George Harrison / Kim Deal / Dave Grohl), Graham ne quitte le groupe et n’entame une carrière solo artisanale et souvent brillante ponctuée jusqu’à aujourd’hui de six albums en solitaire. Sur ce septième essai intitulé SPINNING TOP, Graham abandonne en très grande partie la pop irrésistible qui avait le succès de ses précédents HAPPINESS IN MAGAZINES et LOVE TRAVELS AT ILLEGAL SPEEDS pour nous offrir un disque majoritairement folk et très souvent psychédélique. Finies les petites rythmiques groovy et les refrains qui tuent, place désormais aux arpèges et aux ‘pickings’ de guitare, ainsi qu’aux mélodies hippies.
Judicieusement placé en ouverture, le très joli “Look Into The Light” plante ainsi parfaitement le décor : c’est bien simple on jurerait entendre un inédit de Nick Drake (sacré compliment !). Derrière, on trouve une autre splendide composition, très douce : “This House”. Etonnamment cette chanson sonne très Blur, ce qui amène à se poser cette question quasi insoluble : Graham était-il dans Blur parce qu’à la base son univers musical était quasiment le même que celui de Damon Albarn, ou bien s’est-il au fil des années imprégné du style de Damon au point de le reproduire sans s’en rendre compte, ou bien sa contribution aux compositions du groupe était-elle plus importante qu’on ne le pense généralement ? Vaste débat, que l’on a à nouveau l’occasion de soulever avec un autre morceau plus psychédélique mais tout aussi ‘Blurien’, l’excellent “If You Want Me”.
On jurerait entendre un inédit de Nick Drake…
En troisième position, on retrouve un long morceau très impressionnant, “In The House”, une sorte de mini opéra-rock (ou folk plutôt d’ailleurs en l’occurrence) qui commence par une petite ritournelle à la guitare et finit par se développer en plusieurs parties qui montent crescendo. Franchement, on ne peut qu’être impressionné par le tour de force réalisé niveau composition, Graham faisant passer là les chichiteux et surestimés Grizzly Bear pour ce qu’ils sont : d’aimables enculeurs de mouches. Derrière, on va encore retrouver pendant plus de cinquante minutes de jolies chansons folk (“Brave The Storm”), de drôles de morceaux psychédéliques (“Caspian Sea”), de bons rocks très simples (“Sorrow’ Army”), et trois dernières chansons aussi indolentes, fainéantes et agréables qu‘un après-midi au soleil (“Far From Everything”, “Tripping Over” et “November”).
Clairement, Graham nous a fait là un album de singer-songwriter sous forte perfusion Nick Drake et (en remontant plus loin) Bert Jansch. Ce SPINNING TOP est un disque totalement hors du temps, hors des modes, hors de toute considération commerciale et qui, à deux-trois petits tours de studio près, aurait quasiment pu sortir tel quel dans les années 70. Sur la forme comme sur le fond, Graham ici se fait vraiment plaisir, fait son truc à sa sauce, avec son style à lui comme un bon petit artisan ne cherchant pas vraiment à séduire qui que ce soit. Du coup il faut vraiment plusieurs écoutes attentives pour se laisser pénétrer et conquérir par la richesse de cet album, il faut laisser à chaque chanson le temps de s’imposer. Et une fois que ceci est fait, SPINNING TOP s’avère être un vrai petit délice.
Ce Spinning Top est un disque totalement hors du temps, hors des modes, hors de toute considération commerciale.
Pourtant, malgré tout cela, deux bémols d’importance viennent quand même quelque peu nuancer le bilan de cet album. Tout d’abord, s’il est un bon compositeur et un excellent musicien au style inimitable, Graham Coxon est quand même un piètre chanteur : et d’une, sa voix de canard enroué ne possède qu’un registre très limité, et de deux, hum, disons qu’il ne chante pas toujours vraiment très juste ici (sur un ou deux morceaux, c’en est même par moments quasi insupportable). Mais aussi et surtout, aussi attachant / agréable / joli / intéressant soit-il, cet album, surtout si on le compare à ceux de Blur ou même à ceux que Damon Albarn a faits avec Gorillaz ou The Good The Bad and The Queen, reste quand même terriblement anecdotique. Encore une fois ce disque suinte le talent et le savoir-faire de partout, mais honnêtement, la vision d’un musicien multi-millionnaire qui est persuadé de vivre et d’enregistrer en 1971 a forcément une portée limitée. Dommage. Ne reste plus qu’à croiser les doigts en espérant que Blur nous refasse un album studio.