CLASH THE TRUTH a été un disque attendu. "Shallow", le single qui l’avait précédé, ne promettait que du bonheur sous la forme de guitares éthérées et dynamiques qui décollent dans le même rêve éveillé que Ride et My Bloody Valentine. L’autre morceau partait dans la même direction avec des tintes lo-fi et surf plus en accord avec ce qu’on pouvait comprendre par Beach Fossils auparavant. Leur premier album avait conquis les webzines indie aux États Unis en 2010 grâce à un style très reconnaissable, mélange de surf, de new wave et de shoegaze. Le groupe devint une des têtes les plus reconnaissables de la nouvelle scène à New York. Avec Wild Nothing, The Soft Moon et Diiv, le projet de Dustin Payseur fait partie des sons les plus frais sortis de Brooklyn, promus par une des maisons indé qui fait des ravages actuellement à la big apple: Captured Tracks.
Des fêtes sur les toits de Williamsburg, les Beach Fossils passèrent à être les nouveaux bien-aimés de la presse indie américaine et les têtes de lance de ce style précieux qui frappait fort à New York: un mix qui puisait des influences brit de Joy Division, Stereolab et Jesus and Mary Chain et du psychédélisme surf des Beach Boys. La nouvelle scène de Brooklyn se voulait collaborative: Payseur a engagé les services de Zachary Cole comme guitariste, avant qu’il ne parte pour Diiv, et de John Peña comme bassiste, qui a fait après Heavenly Beat. Le compositeur a aussi joué avec Jack Tatum (Wild Nothing), avec qui il partage le fait d’arranger et d’enregistrer tout sauf la batterie sur les albums, pour après monter des groupes pour jouer sur scène. La version live des Beach Fossils qu’on a apprécié au Romandie faisait écho à la réputation du groupe: un show très dynamique et avec une attitude plus agressive, avec Payseur qui bouge dans tous les sens. Le public à Lausanne, jeune et nombreux, n’a pas suivi. «Je pense qu’il n’y aura pas de crowd surfing ce soir», a lancé le chanteur, déçu, à la fin du troisième morceau. Pas de pogo, non plus, ou de stagediving comme il arrive à leurs concerts à New York. CLASH THE TRUTH, sorti en début d’année, dégage une énergie plus narcotique et épurée, aussi. Il s’agit d’une collection de tubes shoegaze qui conforment un des albums à retenir de cette période: un disque mi-rêvé et mi-vécu qui a eu des appréciations divisées (comme tout «difficile deuxième album») mais qui est sorti partout et leur a assuré une place parmi les noms a à tenir en compte pour le public et les festivals. Leur nom est passé du stade de promesse à occuper une position privilégiée, avec une popularité croissante (c’est la nuit la plus pleine de la semaine américaine, d’ailleurs). Pourtant, Dustin Payseur semble avoir l’esprit ailleurs, sur de nouveaux projets.
Lords of rock: Comment s’est passé l'enregistrement du nouvel album?
Dustin Payseur: C’était bizarre et intéressant, en même temps. J’ai pris plus de temps à travailler sur cet album que sur n’importe quel autre disque que j’ai fait auparavant. J’y réfléchissait trop. Ce n’était pas volontaire d’y penser autant, je n’en voulais pas. Les morceaux qui ont fini dans l’album sont justement ceux sur lesquels je n’y pensais pas tellement…
Vraiment, tu avais beaucoup de chansons écrites?
Oh oui. Certainement. Je crois que j’ai écrit 75 chansons pour ce disque. J’y réfléchissait trop et celles que j’ai utilisées étaient celles que je me disais: «Oui, je ne vais pas écrire une chanson de Beach Fossils, je vais essayer quelque chose de différent». Cela car j’ai beaucoup d’autres projets sur lesquels je travaille. En quelque sorte, je prenais un morceau et je me disais que j’allais l’utiliser pour un projet différent. Parfois, la chanson en question commençait à sonner comme du Beach Fossils et je me disais: «C’est bon, finissons-en avec ceci maintenant.» C’était étrange, car à chaque fois que je fais quelque chose, j’enregistre un album et puis c’est fini, je commence un autre projet: un nouveau nom qui involucre un nouveau son. Alors , voilà, les morceaux écartés finissent dans des EP. Ce qui est bizarre pour ce projet, c’est que pour la première fois j’avais un contrat pour enregistrer. Tu sais? Avec une maison de disques. Alors, j’ai dû réfléchir plus à ce que je faisais et en quelque sorte me concentrer beaucoup sur le projet et sur le son, en essayant d’extraire le plus possible de chaque idée que j’avais. C’est bizarre, car chaque album que j’ai fait est une sorte de disque conceptuel. C’est supposé sonner d’une certaine façon homogène, avec une cohérence des idées et des structures. Alors, après un moment, il devient difficile de se cerner à cette même structure, tu as envie de faire quelque chose de différent. C’est étrange. J’aime que les choses aient une cohérence en bloc. Je me vois mal à sortir un album d’indus et de l’appeler encore Beach Fossils, quoique j’adorerais le faire.
Tu pourrais, plein de groupes ont fait le coup de changer de style, comme My Bloody Valentine…
Oui, je pourrais. C’est vrai, il y a plein de groupes qui changent et conservent le nom. Je ne sais pas, moi j’aime conserver des noms différents pour des projets différents. En ce moment, je suis entrain de travailler sur trois projets en même temps.
Tu joues sur scène avec ces autres projets?
Oui, avec un des autres groupes je joue en live, et c’est le seul jusqu’à maintenant, mais lorsque je reviendrais à New York, je vais commencer à jouer sérieusement avec 2 ou 3 groupes.
Comment est-ce d’habiter à New York, est-ce une scène collaborative?
C’est génial, j’adore. Oui, c’est collaboratif comme scène. Tu peux rencontrer n’importe qui dans le milieu de la musique. C’est quelque chose qui va au-delà des genres, au-delà des époques, des styles et des personnalités. Il y a un respect très sympathique pour ce que tu fais et pour tous les autres. Ce n’est pas un lieu compétitif lorsqu’il s’agit de la musique, ce qui me plait beaucoup. Je crois que c’est très rare. Partout ailleurs, la musique est quelque chose d’extrêmement concurrentiel. Ce n’est pas comme cela à New York, du moins pas les gens que je connais. C’est très stimulant car quand tu sors tu es exposé à plein de sons différents. Un des derniers shows qu’on a joué à New York avant de nous embarquer dans la tournée fut un concert avec Chris Cohen, Beach Fossils et mon autre groupe, Divorced Man, qui est plus viré du côté du noise et du punk hardcore. C’était des styles très différents pendant la même nuit et j’adore ceci. J’adore aller à un concert et que les groupes ne sonnent pas tous pareil. C’est bizarre car notre booker – ou peut-être pas notre agent de booking, mais quelqu’un qui mette en place un de nos concerts – nous met tout le temps avec des groupes qui nous disent: «Je vous aime, j’ai commencé ce groupe parce que je vous ai entendus et j’aime votre musique» et après, quand tu les vois sur scène, ils essaient de sonner comme Beach Fossils, d’une certaine façon.
Vraiment?
Oui, pour moi c’est comme: «C’est nul. C’est la musique la moins inspirée et la plus ennuyeuse que j’ai jamais entendue»…et je me dis: «C’est tout ce que tu as pu extraire de ma musique?» car cela me fait sentir très mal à l’aise.»
J’ai vu que tu étais un grand amateur de hardcore…Est-ce qu’il y a des groupes de hardcore à New York que tu suives actuellement?
Oui, absolument. Il y a quelques très bons groupes de hardcore à New York ces temps-ci. Il y a les World Hog, ou encore les Crazy Spirit. Il y a plein de ces groupes aux Etats Unis, en général. Les Hoax sont très bons, aussi. Il y a beaucoup de groupes qui font ce style, ils jouent très fort.
Est-ce que tu va les voir en concert?
Oh oui, de toute façon. C’est d’ailleurs les seuls concerts auxquels je prends du plaisir à y assister. Tout le reste m’ennuie tellement. Je n’aime pas vraiment le rock indie, je ne vais pas à ce genre de concerts.
Ton dernier disque est centré sur la guitare…Tu en as assez des groupes de synth pop à New York?
Je trouve que c’est ennuyeux, mais j’aime beaucoup les synthétiseurs. Je suis fatigué en quelque sorte de la guitare. J’en ai marre de tout, en général. Je ne sais plus quoi faire, j'espère que quelqu’un va bientôt inventer un instrument nouveau. J’aime beaucoup le Hip Hop, mais le Hip Hop est restée le même pendant les vingt dernières années, il n’y a rien de neuf. Toutes les musiques en sont au même point, il n’y a rien qui évolue, il y a tout qui stagne. Je ne suis pas quelqu’un de négatif, je le dis avec un esprit positif, car je veux que les choses changent et que les gens commencent à faire des choses intéressantes. J’en suis coupable, aussi, tu sais? Je ne suis entrain de faire rien d’original. Je crois que personne est entrain de le faire, d’ailleurs. Peut-être les Death Grips…
Animal Collective?
Oui, il y en a quelques uns qui font des choses nouvelles et qui paraissent ne sortir de nulle part, mais ce n’est pas le cas pour tout le monde.
Mélanger des styles?
Exactement, tout le monde semble être entrain de mixer des genres qui n’ont rien à voir entre eux pour voir si ça marche. C’est un jeu de contrastes.
Quelles ont été les idées principales pour concevoir CLASH THE TRUTH?
Je crois que ce sont principalement la frustration et un état d’urgence. C’est tout ce que je pensais à ce temps-là et cela a marqué ma musique, car j’étais vraiment frustré à cette époque.
Pourquoi? Ton groupe était en pleine montée de popularité…
Non, je ne sais pas. Je n’avais même pas envie de faire le disque, mais je suis ravi de l’avoir fait quand même. Mon avis est que c’est le meilleur disque des Beach Fossils. Je crois qu’il sonne plus comme le Beach Fossils que je connais que comme celui que la plupart des gens connaissent, car lorsque nous jouons sur scène, c’est bien plus agressif et bruyant que sur les albums.
Oui, j’ai vu des vidéos de concerts à New York où les gens bougeaient beaucoup, avec des pogos et du stagediving…
Oui, j’adore tout cela. C’est le Beach Fossils que je connais. Je ne suis pas allé complètement dans cette direction avec CLASH THE TRUTH. Le disque me semble beaucoup plus réservé et contenu. Mais, je ne sais pas, voilà pourquoi j’ai aussi d’autres groupes…
Comment a été pour toi enregistrer un morceau avec Kazu Makino des Blonde Redhead?
Oh, c’était grandiose. Elle est vraiment une personne très douce. C’est difficile à décrire, je crois qu’elle a une des présences les plus gentilles que j’ai jamais eu en face de moi. Lorsqu’elle est venue au studio, elle était juste tellement aimable. Je n’arrive pas à trouver des mots pour la décrire, sa présence est juste énorme. Tous les Blonde Redhead, en fait, ce sont des gens tellement cool.
Est-elle fan de Beach Fossils?
Oui, c’est pour cela que je lui ai demandé de chanter sur cette chanson, parce que j’avais lu dans des interviews qu’elle aimait beaucoup Beach Fossils. Elle est venue à quelques uns de nos concerts, car elle est à New York, aussi. Nous sommes devenus amis et voilà pourquoi lorsque je suis entré en studio, je lui ai demandé de venir et de chanter avec moi.
Est-ce que c’était dur de voir partir Zachary Cole lorsqu’il a fait Diiv?
Non. C’est un guitariste exceptionnel. Quand je suis arrivé à New York, je ne connaissais presque personne, tu vois? Avant j’habitais en Caroline du Nord et c’était tellement ennuyeux. J’ai débarqué à New York il y a cinq ans juste parce que je devais sortir d’où j’habitais et j’ai commencé à travailler en même temps que j'enregistrais des morceaux. C’était plutôt dur, je travaillais comme dj et j’essayais de gagner de l’argent car cette ville est tellement chère. J’ai enregistré des démos et je les ai envoyées au label Captured Tracks car j’aimais beaucoup quelques uns de leurs groupes. Mike du label a bien aimé et m’a offert un contrat immédiatement. J’étais tellement excité que j’ai quitté mon job et je suis parti en tournée. Je n’ai jamais dû en reprendre un depuis. L’expérience de travailler avec ce label a été incroyable.
Tu as collaboré avec Jack Tatum (Wild Nothing), qui est aussi sur le même label…
Oui, il est aussi un de mes meilleurs amis. Il est une personne exceptionnelle. J’adore ses albums. Il vient de sortir un EP qui est très bien. Je sens que je suis la première personne à qui il montre ses chansons et il est aussi le premier à qui je fait écouter les miennes.
Est-ce que tu as des plans à futur avec Beach Fossils, un nouveau disque?
Non. Je ne sais pas, je n’ai pas de plans pour Beach Fossils maintenant. J’ai hâte de rentrer à New York, car il y a plein d’idées que je veux enregistrer. Je vais faire des disques avec deux groupes différents juste maintenant, et il n’y a pas de plans pour Beach Fossils.
Ce n’est pas difficile de mettre Beach Fossils en veille maintenant que vous êtes populaires?
Cela n’a aucune importance pour moi. Je m’en fous du succès et peu m’importent les Beach Fossils. Je ne fais pas de la musique pour être populaire ou quoi que ce soit. Je veux juste faire de la musique qui me rende heureux. C’est tout ce que je vise. Maintenant, c’est d’autres choses celles qui me font être beaucoup plus content que Beach Fossils.
Tu enregistres tout dans ton appartement?
Je suis allé en studio pour le dernier album, mais avant de faire cela, oui, j’ai enregistré tout à la maison. Je ne sais pas si Captured Tracks l’a fait déjà, mais ils allaient sortir un disque avec toutes ces démos, ou avec la moitié d’entre elles, je ne me souviens plus très bien. D’une certaine façon, je préfère le son des démos à celui de l’album. Je suis content avec les deux, mais ils sont différents, c’est deux choses à part. Peut-être c’est un sentiment de nostalgie autour du fait d’avoir enregistré à la maison, avec tellement de temps pour le faire. Le studio a été génial aussi. C’était grandiose de travailler avec Ben Greenberg. Il joue dans The Men et a enregistré beaucoup de groupes de punk et de noise. Il a un projet solo qui s’appelle Hubble.