Confier cette chronique à quelqu’un qui, depuis 2005, clame haut et fort qu’Alex Turner est un petit génie et qu’il est probablement le meilleur de sa génération (et de quelques autres !), peut paraître risqué voire suicidaire … Quand on aime, on est rarement objectif… Mais, je vais être honnête, je n’en menais pas large à l’écoute de ce SUCK IT AND SEE (expression typiquement anglaise et référence au film « Orange mecanique » !). Car HUMBUG n’avait pas suscité l’unanimité et la lourdeur de certains morceaux avait fini par faire douter les plus fidèles fans. Paradoxalement, j’avais vraiment aimé cette noirceur et moiteur (quoique un brin longuette sur certains titres) et des riffs jugés balourds par les critiques.
Après l’avant-première offerte par Arctic Monkeys avec le titre "Brick By Brick", l’angoisse m’a prise rapidement. Avais-je été la seule à trouver ce titre très Beach boys-psyché rock, vintage et d’un trouble fascinant ? Car, dès que j’en ai discuté avec, soit des fans, soit des fans de musique « en général », le même son de cloche arriva à mes oreilles. « Ces petits se sont perdus… c’est nul…. Pas à la hauteur… Pire qu’HUMBUG »… Merci, n’en jetez plus… Nonobstant ce concert de « louanges », je me suis accrochée à cette première sensation que j’avais eu en 2005, Alex Turner peut absolument tout faire : de "I Bet You Look Good On The Dancefloor", au sublime "My Mistakes Were Made For You" et son projet The Last Shadow Puppets (associé à Miles Kanes), de "Cornerstone" jusqu’à la BO de SUBMARINE (envoûtant et quasi parfait). Et surtout à mon impartialité (enfin, ce qui m’en reste…)
Le groupe de Sheffield sort donc son quatrième album, SUCK IT AND SEE, produit par James Ford (producteur des Klaxons et de The Last Shadow Puppets notamment) qui connaît bien le son Arctic Monkeys (pour avoir déjà produit sur FAVORITE WHORST NIGHTMARE). Dès le premier morceau (She’s Thunderstorm), nous voilà rassurés. Ça sonne comme du Arctic Monkeys. Des guitares bien présentes, une batterie à l’unisson et ce petit frisson quand Turner entame sa déclaration. Son phrasé peut énerver certains (beaucoup) mais force est de constater que ce petit a du génie, y compris dans sa façon de prononcer certains mots…
"Black Treacle" semble être un condensé de l’album. Des riffs puissants et précis, et la voix de Turner qui chuchote suavement par moment. Le refrain lui assure une place de choix en live et je parie que ce titre sera un des préférés dans leurs concerts… On en vint alors à trois morceaux qui vont déchaîner les passions, pour des raisons tout à fait différentes. "Brick By Brick" (premier cadeau mis en ligne) avec ses allures psych-rock des années 60, un brin wilsonien, et ces ruptures dans les riffs, va les jeter en pâture aux experts musicaux pointus ! Pourtant, il est captivant. Même son de cloche pour "Don’t Sit Down Cause I’ve Moved Your Chair". Ces riffs lourds, puissants et très « Humbugien », réveilleraient un mort. Ou vous, lors des matins difficiles… L’ironie du texte et sa façon de se moquer sont un délice…Et surgit "The Hellcat Spangled Shalalala"… et tout devint plus compliqué. Ce son noisy et son introduction de guitares, ce côté The Kinks moderne, et The Last Shadow Puppets donnent au titre un côté festif… pour le bien de nos oreilles…
A ce moment de l’album, Turner décide de faire le teaser parfait pour faire apprécier (ou non, vous avez le droit de détester, profitez bien, car vous allez avoir du mal !) son groupe. "Library Pictures", outre le fait que ça va être explosif sur scène, rassemble en 2 minutes 22 l’ensemble des 4 albums…. Introduction comme un WHATEVER PEOPLE… , milieu en forme de FAVORITE WHORST NIGHTMARE, pour finir sur du HUMBUG… Mais c’est tellement sublimement fait…. Ça relève du "Song 2" de Blur…. Le morceau que tout le monde connaît, mais que personne n’arrive à reproduire… LE titre majeur en live. "All My Own Stunts" aurait pu être du même acabit, mais malgré un final étonnant et détonnant, on est légèrement en dessous… Reste la percussion de la guitare et la voix de Turner (j’insiste pour les derniers récalcitrants !).
Il est temps alors de clôturer l’album et de façon incroyablement grandiose. Hormis le "Love Is a Laserquest" dont le texte ironique est très bon, les derniers morceaux sont plus pop, plus doux, un peu rock sur les bords, et singulièrement divins. "Reckless Serenade" est entêtant, collant, émouvant et comme un souvenir de déjà-entendu, mais on ne sait pas vraiment où. Comme un vieil ami perdu de vue que l’on retrouve avec plaisir et mélancolie (we used to be friends, mate !).
"Piledriver Waltz", présent sur la bande orignale du film SUBMARINE (pour rappel, entièrement composée par Turner), est encore plus beau avec cette touche de rock et l’apport du son Arctic Monkeys renforce la beauté de ce morceau… Il reste mon morceau préféré de 2011. Honnêtement, entre les paroles et la musique, j’imagine mal quelqu’un produire mieux cette année… (bon, il reste six mois à tout le monde pour plancher !)
SUCK IT AND SEE (je ne me lasse pas de cette expression… qui sied à merveille à la façon dont le groupe avance… faire un truc qui nous fait peur et qu’on n’a jamais tenté avant….) possède des paroles exceptionnellement mélancoliques (“Be cruel to me ‘cause I’m a fool for you, I poured my aching heart into a pop song, I couldn’t get the hang of poety”.. qui dit mieux ?) Et, évidemment, on se dit que l’album ne peut pas finir plus fort…. Erreur ! Pour un final en apothéose, c’est sidérant. Simplement. "That’s Where You’re Wrong" est un diamant. Du pur, du lourd. SUCK IT AND SEE peut donc être résumer ainsi : maturité. Moins rapide que les deux premiers opus, plus pop et gracieux que le dernier, Arctic Monkeys offre une bien belle palette qui oscille entre le rock explosif (Library Pictures) et une pop so british (les deux titres d’ouverture, Reckless Serenade et Piledriver Waltz). Un concentré d’excellence et de facilité de composition, avec par-ci par-là, un brin de superficielle imperfection (Love Is a Laserquest).
Malgré les évidents progrès de l’ensemble (Jamie Cook à la guitare), les lauriers sont à adresser à une seule personne : Alex Turner. Je remets une couche (au cas où), ce délicat britboy en impose composition après composition. Il est capable de composer du punk-rock qui déménage à dix kilomètres à la ronde et sortir dans le même temps un titre d’une beauté incandescente. Sa voix s’affirme et son songwriting prend toute sa dimension. Qu’il soit en solo, en groupe, en duo, Turner peut donc tout faire (et franchement mieux que bien à chaque fois). Je rêve d’une association 100% british entre deux guitaristes talentueux (sorry, Cook !) : Graham Coxon et Bill Ryder Jones et d’un autre songwriter génial (et touche à tout) Damon Albarn. Si un producteur propose une telle union un jour, je raccroche mes platines, mes vinyles et je me contenterai d’un simple morceau (un minimum de 4 minutes quand même !).
Et pour enfoncer le clou, vous avez de la chance, les petits vont vous faire vibrer cet été à commencer par « Rock a field » le 26 juin au Luxembourg, le 29 au Zénith de Nantes (ah, heureux Nantais !), le 3 juillet aux Eurockéennes de Belfort, aux nuits de Fourvière le 11 juillet, Benicassim le 16 pour finir à Rock en Seine le 27 août (entre autres).
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