Antipods

Un premier album après sept années de concerts, quatre démos, du home recording… Les Antipods font clairement partie de la classe des travailleurs acharnés. On sent le turbin dès les premières lueurs de ces dix titres. Pas de place ici pour les illuminations et l’immaculée conception. Chez ces gens, la qualité se paye à coup de live, de répétitions, de remise en question et de rigueur rythmique.  Le son est brossé à l’extrême, la seule façon de mettre en valeur la richesse d’un magma sonore méticuleusement pensé et construit. Leur musique n’est que dialogues de guitares, entrecroisées et maltraitées par milles effets, sur lesquels se cale une rythmique résolument dansante.

Les Antipods ne donnent pas vraiment dans le revival sixties. L’ambiance est mélancolique, froide et tendue, avec quelques récurrents éclats d’emphase. C’est tout l’héritage de la deuxième partie des années 00. Les fantômes des Foals, des Kings Of Leon, des Arctic Monkeys mais aussi des Strokes sophistiqués de FIRST IMPRESSIONS OF EARTH et ANGLES traînent dans les parages.

L’album est tiraillé par la contradiction. On devine une envie de chaleur dans ses lignes de voix à la limite du cri, haut perchées, mais aussi dans ses basses rondes, ses mélodies de guitares éthérées. Mais une chaleur constamment contredite par sa rigueur technique de base, ses jeux de rythmes et cadences à la limite du cérébral. On imagine de longues heures d’improvisations nécessaires à la création d’ambiances qui hésitent entre vagabondage et démonstration.

On frise le code à plusieurs reprises. Le groupe flirte avec le trop plein : trop de couches d’instruments, trop de riffs de guitares différents, trop de parties instrumentales primant sur le chant, trop de rythmes discos par trop mécaniques. Le poids des influences aussi se fait parfois pesant. Il faudra un jour tuer les proverbiaux pères que sont les Foals et Kings Of Leon. Ils ont le temps. Surtout que sous ce trop plein débordant d’énergie et de passion, on devine un vrai style.

Et voilà le quart d’heure de gloire justifié. De ces 10 chansons, on retient instantanément des lignes mélodiques caractéristiques, une certaine façon d’amener le refrain, de retenir des mélodies énergiques juste avant qu’elles n’en deviennent écoeurantes. Car quand le groupe se concentre sur une base de composition solide et maîtrisée (la sainte trinité couplet-pont-refrain), c’est le tube à chaque coup.

Dans cette optique, la première partie du disque est exemplaire. "Lion Disco", "Mother" ou "Two Steps" sont irrésistibles. Elles montrent qu’au-delà des révérences trop appuyées à un certain son de l’époque, il y a un vrai songwritting pop, racé et mélancolique derrières ses airs de machine à danser. Malgré tous les artifices contemporains, on sent l’école Oasis période BE HERE NOW en filigrane de  ces potentiels singles. On ne se refait pas.

Autre exercice maîtrisé par les chablaisiens : l’instrumental. L’outro du disque est un vrai plaisir coupable de guitariste : pas de composition, pas de véritable structure, juste ces incessants dialogues de guitares. Et quand une vraie construction s’en mêle, le groupe prend une véritable ampleur (Interlude avec son thème final massif et hypnotisant). Qualité d’autant plus contradictoire que l’un des principaux écueils de l’album est un surplus de parties instrumentales, court-circuitant trop souvent la progression des chansons. La deuxième partie de l’album est plus éthérée, moins tendue. Le groupe baisse la garde, les mélodies se font moins marquantes. Il rattrapera l’affaire sur ce "On And On" final, l’un des plus beau moment de l’album, le plus directement Britpop aussi.

Il faut retenir de ce premier essai une réelle ambition de composer des chansons qui comptent. C’est la recherche incessante du bon refrain, de la ligne mélodique qui fait la différence à elle seule. Un travail de mineur qui s’accorde à merveille à leur teint. Les Antipods ont la qualité rare de créer une impression de familiarité au fil des mélodies. Avec leur prédisposition pour la chanson ultra efficace, c’est là leur plus grande qualité et le signe d’un vrai début de marque de fabrique.

Il faudra pour la suite laisser tomber les étouffants devoirs de réserve face aux influences et continuer la recherche d’un son moins emprunté, effacer les tics. Mais pour l’heure, profitons de ce concluant LION DISCO certainement un peu bancal, parfois vraiment excellent, constamment plaisant. La Suisse Romande – c’est un fait – n’est pas une terre des plus accueillantes pour la pop revendiquant une haute estime d’elle-même (de la musique arrogante diront certains). Et bien voilà un bel exemple d’album humble mais fier. Rare et plaisant.

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