Soirée exceptionnelle pour des artistes exceptionnels. Le public a répondu présent à l’appel de Raphelson et Fauve, accompagnés ce soir par le Lausanne Sinfonietta, formation émerite de musique classique. Déjà aperçu à Montreux avec The Divine Comedy ou encore The Young Gods, l’orchestre s’attelle ce soir à donner de l’ampleur à nos songwriters lausannois, poulains de l’excellent label Gentlemen, qui voit là une sorte de consécration pour les nombreux efforts méritoires de leur boss, Christian Fighera. Le concert est à l’image de leur musique à tous les deux, la playlists a été choisie avec grand soin. Raphelson, dans un registre très calme, contemplatif et quelquefois même torturé offre au public des instants d’émotion très intense et intime, merveilleusement accompagné par les violons. L’air vibre, les gens retiennent leur souffle. Fauve, dans un ton beaucoup plus pop et même bossa nova, nous permet de ravaler nos larmes et nous laisse avec plaisir nous plonger dans son univers teintés de petits plaisirs nostalgiques. Les deux artistes sont très concentrés, mais peinent à dissimuler le plaisir qu’ils ont à se retrouver sur cette scène foulée déjà par tant de grands artistes. Ils sont émus, ils sourient. Mais cette scène, ils la méritent, ne serait-ce qu’en entendant les applaudissements de l’audience toute entière, ne serait-ce qu’en voyant les visages rayonnants des spectateurs à la vue de ce spectacle hors du commun. C’est une véritable communion entre les artistes et le public qui se déroule devant nos yeux et nous aurions souhaité que cet instant dure pour toujours. La présence de la Zurichoise Sophie Hunger, du trompettiste Erik Truffaz ou encore du célèbre John Parish ne fait que souligner le respect que le talent de Fauve et Raphelson inspire.
Changement de tendance ensuite, c’est Lambchop et leur country-folk minimale et épurée qui entrent en scène. Pour la deuxième fois à Montreux, Kurt Wagner n’a pas changé. Chemise à carreaux, vieille casquette de nourriture pour bétail, traits creusés par la campagne, tabouret et guitare. C’est Nashville qui nous arrive droit dans les oreilles. Malgré un début de concert plutôt soporifique, pendant lequel les oreilles n’étaient pas encore tout à fait remises du concert précédent, Lambchop peine à conquérir son public, qui baille. Cependant, la deuxième partie du show réserve quelques belles surprises et l’audience est transportée au point de rappeler le groupe deux fois. Le dernier rappel, qui s’achève sur une reprise de "Chelsea Hotel" de Leonard Cohen, pose une touche finale des plus à propos à cette performance plutôt réussie.
Il est tard, une partie du public s’en va, rattrapé par un sommeil de mauvaise augure. En effet, il est 23h50 et les roadies s’affairent encore pour préparer l’arrivée de Rufus Wainwright, tête d’affiche de cette soirée. Quinze minutes plus tard, c’est Claude Nobs en personne qui nous présente le Canadien et son groupe. Sans grande surprise, Rufus entre en scène en tenue bavaroise, fidèle au look qu’il a adopté pour son dernier album, Release the Stars. Initiales dorées sur sa veste et ses chaussettes hautes. Le personnage a beaucoup d’humour et ne parle qu’en français, ce qui a tôt fait de conquérir le parterre de spectateurs qui n’en attendait pas tant. Le titre éponyme ouvre la performance et annonce la couleur. C’est le dernier album qui sera joué durant la prochaine heure et demie. Rufus ne jouera que très peu de morceau des ses disques antérieurs ("The Art Teacher" et "14th Street", entre autres). Entre piano et micro, il nous impressionne par sa maîtrise des mélodies et tonalités vocales dont lui seul a le secret. Après quelques morceaux, les musiciens quittent la scène, à l’exception du pianiste. Comme nous le savons tous, Rufus Wainwright tourne actuellement avec un concept basé sur l’interprétation des plus grands titres de Judy Garland. Après New York et Paris, avant Los Angeles, il nous en offre deux titres absolument bouleversants d’authenticité. Il vit la chanson, il la transcende. Pour son rappel, il revient en peignoir, les spectateurs sourient, ils le connaissent, ils savent que le changement de costume est l’un de ses traits typiques. Il s’assied face au public, sort des boucles d’oreilles en diamant de sa poche, se les accroche. Il extrait ensuite un magnifique rouge à lèvres qu’il s’enduit longuement avec un plaisir non dissimulé. Bien maquillé, tante Rufus nous gratifie d’un morceau solo au piano, chanté intégralement en français, s’il vous plaît! S’ensuit le mythique "Gay Messiah" avec les musiciens qui ont eu le temps de revenir. À la fin du morceau, d’un seul geste, Rufus retire son peignoir pour dévoiler une tenue de danseuse de french can-can, avec collants et jambes épilées, of course. Et de se lancer dans un grandiose playback, mis en valeur par son groupe, danseurs improvisés, dans une chorégraphie digne des plus grands cabarets de Pigalle. Ceux qui ont vu le film The Aviator, dans lequel il fait une apparition avec un big band, reconnaissent immédaitement "I’ll Build A Stairway To Paradise".
Et c’est bien en chemin vers le Paradis que la soirée se termine, après trois concerts mémorables, et que le public s’engouffre encore complètement envoûté dans la nuit montreusienne.
Photos © Daniel Balmat – Montreux Jazz Festival Foundation
Liens:
Gentlemen Records
Lambchop
Rufus Wainwright