Eels

Vers l’approche de la cinquantaine, Mark Everett, connu sous le pseudonyme de la simple initiale E., crée un album plus introspectif, qui semble transformer les méandres de la vie en des sons lumineux et magiques. Pendant longtemps E. s’était présenté plus sous le nom de son groupe Eels, dont il était le compositeur et le seul vrai membre permanent, mais sur la pochette de ce dernier album figure son patronyme complet : THE CAUTIONARY TALES OF MARK OLIVER EVERETT. Ceci n’est pas anodin, car c’est ce qu’il a produit de plus intime, de plus intensément personnel.

Réalisé à l’ancienne, quarante minutes qui se déroulent sans à coup, les notes se déversent en un nuancier mélodique, oscillant entre un côté dramatique et sentimental. L’album débute par une introduction instrumentale (Where I’m at), qui exprime toute la joliesse dont regorge l’opus. Elle nous prépare aux émotions à venir : on embarque dans la narration de l’histoire de Mark Olivier Everett, en plein journal intime.

La composition d’ensemble est très soignée, chaque chanson est exactement à sa place. La variété des arrangements passe presque inaperçue : la présence d'une section de cordes ici (Agatha Chang), d'une légè­re guitare country là (Where I'm from, « D'où je viens »), d'un simple carillon quand la voix retrouve un air d'enfance (Series of misunderstandings), est chaque fois naturelle. Sa voix rêche nous entraîne avec délicatesse. L’humeur qui ressort de l’album est une sincérité poignante. Comme un conteur qui vit en authenticité sa narration, les mots ressortent frappés de justesse et de vécu. Tous ces fragments d’une vie réelle sont lâchés avec un abandon : des erreurs, des répétitions. C’est souvent beau à en pleurer.

Sous l'identité complète affichée par son nouvel album, Mark Oliver Everett avait déjà signé… un livre. Publié en 2008, Things the grandchildren should know (publié en français sous le titre Tais-toi ou meurs) tranche sur les autobiographies de rock stars habituelles. D'abord parce que l'homme n'est pas vraiment une star, plutôt un artiste qui a traversé plusieurs fois le feu avant de trouver la voie qui le mènerait au niveau de ses modèles (Neil Young, Lennon, Tom Waits). Inspiré par le Brother Ray de Ray Charles, Everett raconte avec une franchise parfois désarmante et toujours lucide sa jeunesse chaotique au sein d'une famille dévastée. Son père, physicien de génie non reconnu en son temps, sombrant dans la dépression et l'alcool. Sa soeur droguée et suicidaire. Sa mère foudroyée par un cancer. Il est assez peu question de musique, mais le style cher aux familiers des albums d'Eels, fait d'un mélange unique de douceur et de rugosité, nourrit l'écriture de Mark Everett. Le récit de ses débuts difficiles à Los Angeles, pas exactement l'eldorado envisagé en quittant sa Virginie natale, en dit long sur la passion, la rage désespérée aussi qui, depuis, animent ce créateur atypique et attachant.

Un album rassurant, telle la veilleuse allumée dans la chambre d’enfant, prête à affronter les vieux démons…

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