Disappears en interview

Il fut un temps où Chicago était une ville incontournable de l’underground des Etats Unis, voire à niveau mondial. En effet, bien avant New York et même Seattle ou Portland, cette scène s’est développée au cours des années 1980 grâce au label Touch and Go (The Jesus Lizard, Big Black, Butthole Surfers), lié au post punk et à l’expérimental. Cette scène a explosé au cours des années 1990 avec des labels comme Thrill Jockey (Tortoise, Trans Am, The Sea and Cake), Kranky et Drag City (Bonnie Prince Billie, Smog, Jim O’rourke). Tous les métissages et les croisements de styles étaient permis. Ainsi, cette cité a vu se développer des croisements entre jazz, punk, rock, la musique minimaliste contemporaine, la funk, l’électro et la hip hop.

Avec l’arrivée des années 2000, Chicago est retournée dans l’underground le plus extrême, déplacée par New York comme ville phare. Cependant, la scène de la ville du lac reste active et de nouveaux groupes et labels ont continué à se développer, comme les maisons discographiques Hefty (électro pointue) et Aesthetics (Avant-garde, post rock). La figure de Steve Albini et de son studio d’enregistrement, Electrical Audio, est restée comme un pilier de la capitale de l’Illinois.

Parmi les nouveaux musiciens de Chicago, nous retrouvons les Disappears. Ceux-ci ont comme chanteur Brian Case, qui avait déjà participé à plusieurs groupes. Pendant un temps, le batteur de Disappears était Steve Shelley de Sonic Youth. Leur son des premiers albums est hypnotique et psyché, avec des rythmes imparables et une distorsion assourdissante. Cependant, pour leurs deux derniers disques, le quatuor s’est lancé dans une quête du minimalisme et de la tension qui les rapproche autant des Swans que de Joy Division et du kraut rock. Un mélange unique à consommer sans modération, tel qu’on a pu l’expérimenter lors de leur passage incendiaire au Romandie, dans celui qui fut sans doute un des meilleurs concerts de la saison. C’est impressionnant de constater comme juste avec très peu de sons et beaucoup de rythmes, avec presque rien au niveau mélodique, ces artistes arrivent à distiller une musique aussi puissante.

Lords of Rock : Tu as joué dans plusieurs groupes à Chicago avant de former Disappears…

Brian Case: Oui, j’ai joué dans deux autres groupes. Un s’appelle The Ponys, plus viré au garage, et l’autre est 90 Day Men, qui ressemble plus à Disappears quoiqu’avec certaines différences.

Après, avec Disappears, vous êtes passé d’un psychédélisme expansif à un post punk minimal, avec beaucoup de tension et de rythmes et très peu de notes. Parfois tu joues les chordes derrière le pont, sans même pas faire des notes, juste du son. C’est faire de la musique avec presque rien au niveau mélodique.

Oui, on a changé envers une approche plus minimaliste. Le but est d’être tout le temps entrain de changer et d’évoluer, de ne pas stagner au même endroit. Comme ça, nous nous assurons qu’aucun de nos disques sonne comme celui d’avant. Nous avons des nouvelles influences et de nouvelles idées qui s’incorporent à chaque fois : de cette façon nous arrivons à développer un son qui nous appartient, sans suivre aucune tendance en particulier.

Vous avez fait pourtant quatre albums en cinq ans !

Oui, les deux premiers disques se ressemblent, tandis que le troisième et le quatrième sont complétement différents par rapport aux autres.

Comment avez vous fait pour réussir ce nouveau son plus minimaliste ?

Tu dois être sûr que cela ait encore un sens, qu’il y ait du mouvement et des changements. Mais, il est difficile de faire changer les mêmes choses pendant le cours de quelque chose. C’est un défi mais c’est une façon amusante de faire de la musique : tu utilises ta tête pour arriver à ceci.

Vous m’avez fait beaucoup penser au kraut rock et à Neu, ce soir…

C’est tellement bien ! J’adore ! Et oui, bien sûr, c’est ce que nous voulons faire : la répétition devient le changement. Tu restes croché dans un moment et tu ne sais plus où tu es…Alors, quand tu arrives à un changement, ça se sent vraiment…

Vous répétez beaucoup ?

Pas mal, on répète deux fois par semaine, avec un total de dix heures…On essaie parfois d’améliorer nos morceaux ou d’en faire des nouveaux. En plus, chacun à ses propres projets et est entrain de faire des choses tous le temps. Nous sommes ouverts à l’expérimentation.

Vous avez de la chance avec les batteurs…

Nous avons eu trois excellents batteurs, nous avons vraiment eu de la chance.

Êtes-vous créatifs et constamment entrain de faire des nouvelles chansons ?

Oui, nous essayons d’aller vers l’avant. Nous sommes tout le temps entrain de composer : là nous venons d’enregistrer un nouvel album avant de partir en tournée et de venir ici. Ce cinquième disque sortira surement en janvier 2015 à travers le label Kranky.

Ce label était plutôt orienté vers l’ambient rock et le drone, à ses débuts…

C’est un label duquel j’ai acheté beaucoup de disques, alors je me sens vraiment fier d’y participer maintenant.

Il semblerait que tu sois allé d’un son plus classique et narratif vers quelque chose de plus abstrait et complexe, plus proche de Battles, par exemple, qui viennent aussi de Chicago…

Oui, nous sommes allés justement vers l’abstraction. Nous faisons des boucles sur scène et en temps réel. Nous avons senti que c’était une bonne direction pour nous et nous l’avons maintenue.

Est-ce qu’il reste encore quelque chose de la fameuse scène musicale de Chicago, qui a engendré des groupes comme Big Black ou Tortoise dans le passé ?

Oui, il y a tellement de bons groupes là-bas. Tout le monde joue dans les mêmes endroits sur scène et répète dans les mêmes bâtiments, alors il y a beaucoup d’interaction entre les musiciens.

Est-ce que le club Empty Bottle existe toujours ?

Oui, bien sûr, nous jouons là tout le temps. Norris, notre batteur, travaillait dans ce club, alors nous avons une connexion très forte avec cet endroit.

Est-ce que le label Touch and Go Records te manque ? Pourquoi ?

Oui, bien sûr. Parce que c’était une partie intégrante de la ville de Chicago et de la scène musicale. Quand j’étais entrain de grandir, j’achetais beaucoup de disques qui sortaient sur Touch and Go.

En même temps que des disques de Dischord ? Etais-tu un fan de hardcore ?

Oui, pour moi c’était des labels énormes et ils ont été très importants pour moi dans ma jeunesse. Touch and Go me manque parce que le label n’est plus là, mais aussi, le label s’est arrêté car ses fondateurs voyaient avec de mauvais yeux la direction que l’industrie de la musique était entrain de prendre. Alors, je crois que cela est totalement respectable. Au-delà de ce qui les a poussé à commencer cette affaire, ils se sont dits qu’ils ne voulaient plus être une partie de ce business. Ils étaient devenus tellement grands avec le temps que c’était bon, ils avaient fait leur travail. Ils auraient pu continuer et attendre la chute, en cessant d’être ce qu’ils étaient tandis qu’ils ont préféré de rester fidèles à eux-mêmes.

Comment vois-tu l’industrie de la musique aujourd’hui, quand un album sort et qu’il a une espérance de vie d’une semaine, avant d’être oublié ?

Disons que tout le monde a un mois pour essayer d’impressionner le public. Je crois qu’il y a encore beaucoup de gens qui s’intéressent aux albums, à les écouter et à apprendre quelque chose d’eux. Pour d’autres, par contre, la musique s’agit juste d’une sorte de rechange, quelque chose de jetable, comme la mode. Comme artiste, la seule chose que tu puisses faire c’est de chercher ces gens qui sont vraiment intéressés par la musique.

Chicago est un bon endroit pour cela, à part les 30 dernières années de punk, il y a toute la tradition jazz de la ville… Avec quels groupes de là-bas vous vous entendez bien ? Tortoise ?

Oui, Tortoise c’est des amis et nous adorons leur groupe. Je les vois régulièrement. En plus, il y a les Implodes, qui sont aussi sur Kranky, avec qui nous nous entendons très bien. Il y a encore Joan of Arc, tu connais ? Ils ont été là depuis un bout de temps et ils jouent encore. J’aime bien Cave, bien sûr. Est-ce que tu connais un autre groupe issu de Cave qui s’appelle Bitchin Bajas ? Ils sont incroyables et ils sont aussi sur Drag City. 

Comparée à New York, Chicago reste une ville plus centrée sur la musique que sur la mode…

Oui, les gens sont plus concernés par faire juste de la musique. C’est un bon endroit pour vivre qui reste encore accessible. Il y a encore des Lofts à bon marché, tu peux avoir un groupe et être tranquille sans avoir à travailler tout le temps pour payer tes factures. Il y a aussi l’effet de l’hiver, qui est interminable : il n’y a rien à faire sauf être à l’intérieur et cela te pousse à faire de la musique.

Avez-vous enregistré dans le studio de Steve Albini à Chicago, Electrical Audio ?

Oui, plein de fois. C’est magnifique parce que tout fonctionne, là-bas. Par contre, nous emmenons toujours notre propre ingénieur du son, John Congleton, qui a travaillé avec St. Vincent et vient d’enregistrer le nouveau disque des Swans, entre autres. Il est tellement bon.

Est-ce que tu as toujours chanté ?

Par défaut, au début je ne voulais pas tellement le faire. Mais, maintenant j’aime bien, car j’adore écrire et c’est une façon de libérer mes pensées.

Est-ce que les paroles sont en boucle, comme la musique ?

Oui, il s’agit de textes circulaires, parfois je change juste un mot. Je crois que je me centre plus sur la signification que sur la phonétique. Cependant, sur ce groupe [Disappears], je prends en compte la rythmique. Ainsi, je fais en sorte que cela s’intègre aux autres éléments de la « machine » qui est entrain de tourner.

Comment sera le prochain disque ?

Je crois qu’il sera tendu et minimaliste, un peu comme Era (2013), le dernier. Nous venons de finir l’enregistrement avant de venir, alors nous essayons encore de le comprendre.

Comment avez-vous vécu la tournée européenne, est-ce différent des US ?

En Europe, c’est mieux. Je crois que les gens sont plus attentifs à la musique, tandis qu’aux Etats Unis, il faut être « cool » ou sortir dans les quotidiens. Nous pensons sortir l’album et revenir en janvier par ici.

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